Épilogue

Plus de quatre mois ont passé depuis mon précédent article de blog, qui sonnait comme le dernier.

Je savais au fond de moi que ce ne serait pas l’ultime, que je ne voulais pas laisser à mon fidèle lectorat la sensation de laisser le tableau plus noir qu’il ne l’était vraiment, dans le contexte inédit qui était celui de ce début de campagne d’été.



Les « trois semaines » avant le départ n’en ont finalement compté que deux, puisque l’Aurora Australis a accéléré son arrivée, ses opérations et son départ, qui a eu lieu le dimanche 8 décembre en soirée. Un dernier vol en hélico de quelques dizaines de secondes entre la base haute de DDU et le pont du brise-glaces australien, et voilà que tout un pan de ma vie fait désormais partie du passé.



Que cela paraît lointain ! Et pourtant, en me laissant voguer à mes souvenirs, je visualise encore parfaitement ce dimanche 8 décembre. L’annonce du départ le midi pour le soir, ce couperet qui tombe violemment, une décision que nous, hivernants sortants sur le départ, avons accepté d’un air désabusé. Le moment des adieux, avec ceux qui restent, campagnards d’été pour quelques mois, futurs hivernants pour la plupart arrivés il y a à peine 48 heures, et surtout les hivernants de notre TA69 qui restent encore jusqu’à la prochaine rotation, ou celle d’après. Un moment forcément émouvant, durant lequel je n’ai pu retenir quelques larmes. Le choc de voir une si belle aventure se terminer si brutalement surtout, l’émotion de voir pour la dernière fois, au moins dans ce contexte, des gens que j’appréciais, et une pointe de frustration aussi, de n’avoir pas maîtrisé grand-chose dans les événements qui ont précédé ce départ.



Aujourd’hui, plus de trois mois après mon retour à la civilisation, la barbe est taillée, les cheveux mieux coiffés, certains comportements sociaux de l’hivernant que j'ai été pendant plus de huit mois ont disparu, mais au fond je ne me sens pas radicalement différent de la personne qui a quitté la Terre Adélie après un séjour d’un an.



Cette expérience à nulle autre pareille, couplée aux événements qui font l’actualité depuis plusieurs mois, a renforcé mes convictions quant aux principaux enjeux auxquels nous sommes confrontés.



J’ai passé plus de sept semaines en Australie, alors en proie à une saison de feux meurtrière et catastrophique pour beaucoup d’écosystèmes, en particulier dans la région de Sydney. J'ai aussi eu la chance d'effectuer une initiation à la plongée sur la Grande Barrière de Corail. Hélas, pour la troisième fois en cinq ans, ce joyau naturel si fragile connaît un important phénomène de blanchissement suite à un épisode de vague de chaleur océanique exceptionnelle dans la Mer de Corail.



A mon retour en France, le 25 février, c’était le tout début de la virulente propagation du SARS-COV2, avec le premier cluster identifié dans l’Oise, alors que vraisemblablement, la maladie se propageait déjà librement dans le Haut-Rhin.



Dans ces situations, rien n’est ou n’a été fait pour se préparer en amont et changer la trajectoire d’une catastrophe anticipée par des experts compétents dans leur domaine. L’augmentation de certains phénomènes météorologiques extrêmes tels que la vague exceptionnelle de chaleur qui a conduit aux incendies en Australie est à relier directement au réchauffement climatique, selon les climatologues du GIEC, de même que la disparition inéluctable à plus ou moins long terme de la plupart des grands récifs coralliens ; bien avant l’existence du nouveau coronavirus, un rapport de l’OMS indiquait dans un rapport passé inaperçu en septembre 2019, les risques liés à une pandémie.

Bref, pendant que des gens sérieux sonnaient l'alerte, le monde a continué à vivre en mode « business as usual ».



J’ose espérer que cette année de retour sera aussi, pour une part toujours plus importante de la population, l’occasion d’écouter le message des scientifiques, lanceurs d’alertes trop souvent ignorés vis-à-vis des défis à venir.



Jamais auparavant le monde n’a autant eu besoin d’écouter ces experts, passionnés par leur domaine d’étude, souvent sous-payés et ignorés. Cela ne doit pas non plus se faire au détriment de la méthodologie scientifique. Je suis autant stupéfait par le niveau d’ignorance moyen quant aux connaissances scientifiques de base, que par la multiplication de ces "experts" très médiatisés,  et qui mettent en avant des résultats scientifiques biaisés, erronés voire grossièrement manipulés...



C’est donc d’un œil parfois désabusé mais souvent consterné que je suis depuis mon lieu de confinement à Briançon, les nouvelles qui évoluent chaque jour par rapport à la pandémie actuelle.

Dans ce contexte, je n’ai pas encore pris mon nouveau poste de prévisionniste conseil, et j’ignore quand ce sera le cas.



La Terre Adélie me manque, à commencer par la sérénité et la beauté de son paysage ou la pureté de ses lumières. La simplicité d’une existence peu influencée par le monde extérieur, aussi. La fraternité des relations humaines que j’ai pu y nouer avec la plupart des hivernants, enfin.



Elle se rappelle à moi de manière discrète, la plupart du temps dans mes rêves, à partir des souvenirs construits à DDU. Au réveil, je profite quelques instants de cette sensation douce-amère, avant de passer à autre chose : ces quelques petits tracas de la vie quotidienne qui ne m’avaient guère manqués pendant l’ hivernage parfois, l’entourage chaleureux et bienveillant de mes proches que j'ai retrouvé après une longue parenthèse de plus d'un an sinon !



J’ai conscience de la chance d’avoir eu cette expérience de vie unique, qui aura manifestement structuré ma façon, lucide pour certains, cynique pour beaucoup d’autres, de percevoir ce monde que j’estime en péril, mais où j’ai aussi un rôle à jouer en tant que scientifique éclairé.

 

Portez-vous bien !



Gaétan



Départ de l'Aurora Australis de DDU le 8 décembre. Crédits photo Coline Marciau



Commentaires

  1. Drôle d'atmosphère en effet pour un retour à la "civilisation" après une telle expérience, après laquelle on a plutôt envie de bouger que de rester confiné. Bonne installation, si on peut dire, à Briançon et à bientôt peut-etre sur les ondes meteo...

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  2. Hello Gaétan,
    en lisant l'épilogue de ton récit de l'hivernage TA69, je me replonge bien des années en arrière pour avoir éprouvé les mêmes sentiments en tant qu'ancien hivernant; à ceci près que le retour à la civilisation n'était pas gâché par ce que nous connaissons aujourd'hui. Néanmoins, les souvenirs de cette période "extra ordinaire" ne m'ont jamais quitté et je suis sûr que l'expérience que tu as vécue t'aidera à avancer.
    Bonne prise de poste à Briançon … (après Bordeaux où nous nous sommes croisés.)

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