Un milieu hostile
L'Antarctique
est un continent hostile, en particulier l'hiver lorsque la nuit sinon
la pénombre sont omniprésentes et que le froid se fait le plus mordant.
Quand ce n'est pas le froid extrême de l'intérieur qui ne constitue pas
la menace principale, c'est le catabatique côtier qui génère de
fréquentes conditions de blizzard.
Un
milieu hostile que l'Homme n'a jamais colonisé, et que tardivement
exploré. Les seules raisons de notre présence ici sont pour la science.
Au-delà de l'aspect scientifique, les enjeux à long terme sont trop
importants pour ne pas continuer à investir des implantations et une
logistique complexes.
Cette
réflexion a occupé une partie de mon esprit pendant la manip vers
le continent, la semaine dernière. Accompagné de Grégoire, glacio, Cédric,
technicien télécom, Aurélien, électrotechnicien, et Charles, mécano
garage, nous nous sommes rendus à la base Robert Guillard à Cap Prud'homme, en
progressant sur cinq kilomètres de banquise d'une épaisseur moyenne de 60 cm, recouverte d'une couche hétérogène de neige.
Le
trajet a duré un peu plus d'une heure ; en partant un peu avant le
lever du soleil, par ciel gris, la visibilité était médiocre, nous
obligeant à redoubler d'attention lors du franchissement des "rivières",
ces failles dans la banquise où apparaît l'eau libre.
Le
ciel est resté gris et bas, avec un vent très discret. A peine avons
nous ressenti un petit frémissement catabatique en approchant du Cap
Prud'homme, ainsi qu'à la montée vers D3, où j'accompagnais Greg afin de
décharger les données d'une station météo.
Ce 16 mai avait la particularité d'être à la fois le jour le moins venté depuis le début de l'année, 7,6 km/h en moyenne et 28 km/h de rafale maximale, mais également le plus sombre, avec un rayonnement solaire de 15 joules par cm², quand on peut en recevoir 3500 lors des journées bien ensoleillées de plein été.
Ce 16 mai avait la particularité d'être à la fois le jour le moins venté depuis le début de l'année, 7,6 km/h en moyenne et 28 km/h de rafale maximale, mais également le plus sombre, avec un rayonnement solaire de 15 joules par cm², quand on peut en recevoir 3500 lors des journées bien ensoleillées de plein été.
La
température n'était pas trop froide, autour de -15°C, mais en l'absence
de chauffage depuis le départ des derniers campagnards d'été il y a
trois mois, l'intérieur des bâtiments de la base était sensiblement à la
même température. Étrange sensation que de casser la graine dans une
salle à
manger par -14°C.
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Grégoire s'affaire à la station météo à D3, au fond la banquise et l'île des Pétrels au fond |
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Pause déjeuner dans la base Robert Guillard avec Cédric, Charles, Greg et Aurélien |
Au
final, une journée bien remplie avec une ambiance de franche
camaraderie dans ce groupe de cinq. Le lendemain, quelques courbatures
aux mollets en raison des 17 kilomètres parcourus, une gêne vite
oubliée, et ce sont les bons souvenirs qui restent.
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Marche retour vers DDU, le soleil est levé mais ça ne se voit pas trop.. |
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Photo de groupe sur la banquise à mi-chemin entre Cap Prud'homme et DDU |
Samedi
matin,j'ai servi de cas pratique à la formation secourisme : en essayant de récupérer une sonde mal attelée au ballon et qui s'est
détachée et a glissé sous l'abri de radiosondage, j'ai glissé sur la
glace lisse en pente et je me suis cogné violemment la tête contre une
rambarde métallique. Heureusement, il y a eu un témoin visuel de la
scène qui a pu alerter l'équipe "rescue" (Claire, Charles, les deux Nico,
Aurélien), intervenue rapidement. J'ai eu un traumatisme crano-facial,
heureusement les vertèbres n'ont pas été touchées, donc pas de
paralysie.
Avec leur soutien j'ai pu monter jusqu'à l'abri de radiosondage juste au-dessus, c'est là que j'ai perdu connaissance une fois allongé et j'ai commencé à me vomir dessus. Ils ont eu le bon réflexe de me mettre en PLS et de m'aspirer le vomi à l'aide d'une pompe...
Bon, heureusement que tout ça était un exercice, effectué dans le froid glacial et le vent, soit dans des conditions réalistes pour ce milieu hostile qu'est l'Antarctique..
Avec leur soutien j'ai pu monter jusqu'à l'abri de radiosondage juste au-dessus, c'est là que j'ai perdu connaissance une fois allongé et j'ai commencé à me vomir dessus. Ils ont eu le bon réflexe de me mettre en PLS et de m'aspirer le vomi à l'aide d'une pompe...
Bon, heureusement que tout ça était un exercice, effectué dans le froid glacial et le vent, soit dans des conditions réalistes pour ce milieu hostile qu'est l'Antarctique..
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Sur les lieux de l'accident. Photo Patrice, gérant postal |
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En urgence, je suis remonté au niveau de l'abri radiosondage et couvert. Photo Patrice, gérant postal |
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La situation s'aggrave.. en PLS ! Photo Patrice, gérant postal |
Ce dimanche 19 mai était aussi un jour peu venté, mais cette fois bien ensoleillé et surtout froid.
Avec
quelques motivés, nous avons fait un petit footing matinal (enfin, 10
heures passées, une fois le soleil levé), par -24°C et vent faible, pour
un tour de l'île des Pétrels côté banquise, une distance d'un peu plus
de trois kilomètres en une vingtaine de minutes.
L'effort
était surtout au niveau de la motivation, afin de s'habiller et de
s'équiper : deux paires de chaussettes, deux paires de gants, caleçon
long thermique et pantalon de ski, double paire de t-shirts thermiques,
pull polaire, cache-nez gore-tex, bonnet et masque : pas un seul
centimètre carré de peau exposée, et un confort thermique optimal, au
final un régal et des sensations inédites.
L'après-midi
de ce dimanche finalement bien rempli, une petite balade digestive
s'est organisée. Il le fallait après l'excellent magret de canard de
notre cuistot Bertrand. La banquise étant désormais suffisamment épaisse
tout autour de la base, il est possible d'aller se balader en petits
groupes au nord de l'île du Lion par exemple, ou derrière les îles
Bernard et Lamarck. Malgré la solidité apparente de la banquise, il faut
rester prudent, quand bien même les rivières ont gelé avec le grand
froid.
Dimanche,
c'était aussi la pleine Lune, ce qui implique de grandes marées, que
l'on ressent aussi en Terre Adélie. En conséquence, les berges des
icebergs enchâssés dans la banquise et des îles travaillent, des
crevasses se forment au niveau des banquettes, ces ponts de glace qui
relient la mer à la terre ferme, et elles se remplissent à marée haute.
On le voit sur cette photo, avec une flaque d'eau gelée, zone de danger qu'il faut éviter au risque de tomber dans plusieurs dizaines de centimètres de sorbet, un mélange d'eau et de glace, à -2°C.
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Banquettes déstabilisées par la marée, rendues visibles par les flaques d'eau gelée... |
La lumière était belle et pure au coucher du soleil, vers 15h, donnant des reflets roses sur la langue terminale du glacier de l'Astrolabe...
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Le glacier de l'Astrolabe, interdit d'approche en raison du danger : les falaises de glace évoluent de plusieurs dizaines de mètres par an ! |
En revenant vers la base depuis Lamarck, je me suis retrouvé nez à bec avec un manchot empereur, qui revenait vers la manchotière en glissant sur le ventre sur une zone de banquise pluriannuelle compressée et surélevée
Le
manchot empereur étant une espèce protégée, on ne doit pas s'en
approcher à moins de vingt mètres...mais le voilà à deux mètres de moi,
qui se redresse, allonge son cou et bat des ailerons puis chante
brièvement, des signes manifestes de stress.
Je
dois m'accroupir, me faire plus petit que lui et calmement revenir sur
mes pas pour le laisser passer et rejoindre ses congénères, ce qui ne
m'empêche pas de prendre une photo, en souvenir de cet instantané
impromptu.
Après
cet intermède de trois jours bien froids, pendant lequel la température
a atteint -25°C pour la première fois de l'année, voilà que le temps
s'est progressivement radouci en début de semaine.
Le
catabatique est plutôt resté sur le continent lundi et mardi, qu'un
vaste mur de neige masquait la plupart du temps. Un spectacle
particulièrement beau, notamment au crépuscule : le matin, alors que la
pleine Lune se couchait sur le continent vers 10h, et le soir, à 16h,
déferlant en ombre chinoises au-delà du Cap Géodésie..
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Coucher de Lune au-dessus du continent et de la base Robert Guillard... l'horizon est flou, le catabatique se lève ! |
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Le catabatique déferle sous forme de mur de neige jusqu'au littoral, au-delà du Cap Géodésie |
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C'est encore plus impressionnant lorsque le mur de neige se dessine en ombres chinoises, bien après le coucher du soleil ! |
C'est dans ce contexte que l'on a envoyé notre deuxième ballon sonde pour l'étude de la couche d'ozone, le 20 mai.
Comme
le précédent, il a eu lieu peu après le coucher du soleil, encore une
fois agrémenté du rayon vert, pour que l'entrée du ballon dans la
stratosphère soit simultanée avec le tir Lidar de Guillaume.
C'est Patrice, notre gérant postal, qui a encore une fois immortalisé le lâcher de ce ballon bien plus gros qu'un ballon météo classique !
Ce
mercredi, le temps est redevenu bien doux avec presque -10°C, par
l'approche d'une profonde dépression chargée d'air doux au large,et qui
fait
office d'aspirateur à catabatique, lequel a atteint 135km/h en rafales ce matin.
Pas
de neige, mais la chasse-neige générée par le vent a tôt fait
d'augmenter le volume des congères, certaines obstruant sur une hauteur
de1m50 les passerelles qui permettent de circuler entre les différents bâtiments...
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Le 22 mai, l'utilisation des passerelles était déjà assez acrobatique... ça a largement empiré depuis ! |
Le scénario était basé sur l'accident d'un hivernant en manip sur la banquise. Norbert, chef centrale, accompagné de Bertrand, le cuistot, a fait une mauvaise chute en progressant sur une zone de compression de glace. Conscient mais avec l'impossibilité de bouger, une opération de sauvetage est organisée. Cela passe d'abord par la prise de contact à la radio, qui alerte ensuite le médecin et le chef de district.
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L'équipe rescue et Claire au chevet de Norbert ! Crédit photo Mervyn Ravitchandirane |
Un premier binôme, avec couverture de survie, boissons chaudes et trousse de premiers secours s'est rendue sur les lieux de l'accident.
Une deuxième équipe de sauvetage, accompagnée de Claire, et plus lourdement équipée (barquette, véhicule) les a rejoints, et le diagnostic d'une fracture de la cheville a pu être établi.
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Mise en place de la victime sur le Kubota |
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Le "rescuebota" fonce vers l'hôpital ! |
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Progression sur les passerelles ! Crédit photo Mervyn Ravitchandirane |
Arrivée à l'hôpital, déja préparé par une équipe de volontaires ! |
Ensuite, c'est l'équipe hôpital qui prend le relais : prise des constantes et premiers soins. J'aide pour effectuer la radio, et pour revoir les techniques de stérilisation des instruments qui serviraient à la chirurgie. Ensuite, c'est la mise du plâtre, sur Virgil, qui a remplacé Norbert en tant que victime pour la fin de l'exercice !
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Un plâtre en résine impeccable ! Après tant d'émotions, un peu de sucre ne fait pas de mal ! |
Pour terminer, le traditionnel bilan climatologique au 22 mai, avec le nouveau record de froid !
TM
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TNN
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TXX
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FFM
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FXY
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FXI
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INSOL
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-6,8°C
|
-25,1°C le 19/05
|
6,4°C le 18/12
|
36,6 km/h
|
137,2 km/h le 07/04
|
196,2 km/h le 07/04
|
1072,1 h
|
Les prochains articles risquent d'être consacrés à la MidWinter, événement marquant au sein d'un hivernage !
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