67 degrés d'écart

Iceberg figé dans la banquise, le 27 juin. Le temps calme et froid de fin de mois autorise les balades pour aller de l'autre côté des icebergs, qui présentent toujours la même face depuis la base...

67 degrés, c'est ce qui séparait au même moment Dumont d'Urville, où il faisait -21,5°C, de la région de Montpellier, où ma sœur Emmeline m'a envoyé une photo du thermomètre digital installé pour l'occasion sur la face nord d'un pin du jardin de la maison familiale, à 1 mètre du sol, indiquant 45,4°C ! Une observation éloignée des standards météorologiques, mais cohérente avec celles effectuées dans des abris normalisés du secteur, où la température est montée jusqu'à 45,9°C à Gallargues-le-Montueux, à mi-chemin de Montpellier et Nîmes. Cette dernière valeur bat à plate couture le précédent record national absolu, obtenu sur un même poste du département pendant la fameuse canicule d'août 2003 : 44,1°C. Autrement dit, il n'avait jamais été observé de température aussi élevée en France, y compris en incluant l'Outre-mer, où la chaleur est tempérée par l'humidité évaporée des océans. Au passage, la Réunion a elle aussi battu son record absolu de chaleur, en fin d'été austral.

+45,4°C :Largement indicatif car mesure non standard, mais inédit !

 Les deux grandes villes languedociennes ont également battu, non, pulvérisé ! leur record absolu : 44,4°C à Nîmes, 43,5°C à Montpellier, sur la station de l'aéroport à Fréjorgues, généralement tempérée par la proximité des étangs, et l'occurrence fréquente de la brise de mer,  quand le cagnard écrase habituellement les garrigues de l'arrière-pays. Le précédent record d'une série débutée en 1946 était de 37.7°C, un certain 4 août 2017.

La fin du mois de juin 2019 est calme et froide ici, avec une anomalie thermique d'environ -5°C sur les dix derniers jours du mois, et chaque jour une température minimale inférieure à -20°C. Si c'est assez notable, ce n'est point inédit, déjà observé 3 fois dans le passé. On est là dans une composante froide de la variabilité naturelle interannuelle : sur une même période de l'année, des périodes chaudes succèdent aux périodes froides, et la moyenne sur 30 ans donne la moyenne climatologique, qui, pour les températures, restent stables sur cette partie du continent. C'est l'inverse sur la péninsule Antarctique, l'une des régions du globe qui se réchauffe le plus vite.

L'événement météorologique que je suis à 16000 kilomètres de distance est d'une toute autre ampleur et signification. Un événement sur lequel plane l'ombre du réchauffement global. Théorisé dès 1896 par le chimiste suédois Arrhénius, prévu de plus en plus finement par les physiciens et les climatologues à partir des années 1970, et observé depuis la fin du siècle dernier par l'ensemble es réseaux d'observation de surface et d'altitude disséminés sur la planète.

Difficile de quantifier exactement précisément la part des effets du réchauffement climatique dans l'événement que connaît actuellement la métropole. Le raisonnement par l'absurde permet de mieux comprendre les choses. En l'absence de réchauffement causé par les activités humaines, comment expliquer qu'à l'échelle globale, les 4 dernières années soient les plus chaudes mesurées à l'échelle globale ? Et la multiplication des canicules qu'a connu la France ces dernières années ? Depuis 2015 en effet, avec chaque été vient en France son lot d'épisodes caniculaires, de chaleurs tardives ou précoces, qui battent des records mensuels ou absolus sur des réseaux de mesure fiables et anciens. Cette tendance s'inscrit dans celle prévue par les climatologues, à savoir des épisodes caniculaires de plus en plus fréquents et intenses, dans le siècle à venir. L'ampleur et la fréquence des événements extrêmes dépend ensuite des trajectoires d'émissions des gaz à effet de serre, mais même en adoptant des mesures drastiques, le réchauffement global, éventuellement limité à 2 à 3 au lieu de 4 à 5 degrés devrait se poursuivre pour ce siècle et le suivant.

Dans ce lieu isolé et inaccessible l'hiver qu'est la Terre Adélie, on observe et constitue des séries de données robustes, pour mieux comprendre l'évolution du climat actuel, et ses différentes imbrications avec les autres disciplines scientifiques, de la biologie à la glaciologie. La présence sur le terrain est un maillon essentiel de la science, à une époque où il est encore plus important d'observer, d'archiver, afin de mieux prévoir, éduquer et s'adapter.

J'ai une pensée envers mes collègues prévisionnistes en France, en cette période de crise météorologique. Mon précédent travail consistait entre autres à décider et diffuser les cartes de vigilance de Météo-France, et le paramètre "canicule" était de loin celui où réside le plus d'enjeux sociétaux. La couleur rouge émise pour 4 départements du sud dont l'Hérault est inédite depuis sa mise en place après la canicule de 2003. Elle témoigne, sinon de la crise sanitaire sur laquelle on aura plus d'éléments dans les semaines à venir, au moins du caractère totalement exceptionnel de l'événement, qui se répercute dans d'autres pans de la société : feux de forêt, transport, alimentation électrique, pollution à l'ozone... Des événements climatiques et leurs conséquences qui seront amenés à se multiplier dans les événements à venir, et pour lesquels on n'a pas d'autre choix que l'adaptation.

Un hiver en Antarctique, c'est, en plus de vivre une aventure humaine et professionnelle inédites, prendre du recul sur le reste du monde, et réfléchir à sa condition.

Des éléments de réflexion qui ne m'étaient pas forcément venus à l'esprit l'été dernier, lorsque la base était en effervescence, avec trois fois plus de monde, les chantiers, le jour polaire...

"Un été en Antarctique", c'est le nom de la série documentaire réalisée par Nicolas Martin, journaliste Radio France, qui sera diffusée à partir de la semaine prochaine entre 12h et 12h30 sur France Culture, et d'ores et déjà disponible en podcast :
https://www.franceculture.fr/sciences/decouvrez-un-ete-en-antarctique-en-avant-premiere

Un beau sujet, abordé avec un angle assez classique mais bien construit, où vous pourrez peut-être reconnaître ma voix, parmi la multitude d'intervenants : techniques, scientifiques, jeunes hivernants ou multi-récidivistes des campagnes d'été.

On se quitte avec le bilan climatologique, le froid et le calme de la semaine jouent sur les moyennes de température et de vent depuis le 9 décembre, tandis que le soleil, encore bas sur l'horizon, ne donne qu'un ensoleillement supplémentaire bien maigre.

TM	TNN	TXX	FFM	FXY	FXI	INSOL
-8,8°C	-31,8°C le 06/06	6,4°C le 18/12	35,1km/h	137,2 km/h le 07/04	196,2 km/h le 07/04	1080,2 h

Désolé si cet article vous paraît décousu, je m'étais fixé comme règle tacite de ne pas forcément évoquer l'actualité de la métropole, mais la vague d'informations à propos de cette canicule a également déferlé sur notre congélo naturel bien tranquille, alimentant largement les conversations des repas auxquelles je participais évidemment !
C'est donc un article rédigé à chaud (#jeudemots), à la différence de la plupart des précédents !