Pluie de records à DDU

Ce vendredi, DDU se remet d'un coup de vent prolongé qui s'est achevé par une violente tempête qui a battu certains records!

Samedi dernier, le temps était encore calme, l'occasion de faire quelques sorties, à la pointe sud-est de l'île des Pétrels, où un léopard de mer était présent. Il s'agit d'un phoque prédateur qui s'attaque en particulier aux manchots. Ces derniers l'ont bien compris et préfèrent faire un détour de 2 km pour aller à l'eau plutôt que risquer de se faire croquer par Léo, le léopard de mer.

Attention, ça mord !

Des consignes de prudence avaient été données pour la sécurité : interdiction d'approcher l'animal ! Contrairement aux phoques de Weddell ou aux éléphants de mer, le léopard de mer peut s'attaquer à l'homme. Le nombre d'accidents mortels doit se compter sur les doigts d'une main dans toute l'histoire de toutes les campagnes en Antarctique, mais il y a déjà eu quelques grosses frayeurs d'anciens hivernants à DDU. On se contente donc d'admirer ce fauve aquatique depuis une pente qui surplombe la banquise où l'animal venait vraisemblablement de faire bonne pitance !
Le vent catabatique, un peu moins turbulent que la veille, donnait une impression de froid piquant ! C'est d'ailleurs samedi que la température a battu un nouveau record (très provisoire) de froid pour cette mission, avec une minimale de -9.3°, et on était loin du dégel l'après-midi, pas plus de -2.8°C. On pouvait observer au crépuscule de magnifiques specimen d'altocumulus lenticularis et undulatus, qui indiquent notamment la présence de vent fort, et d'un certain niveau d'humidité dans les couches moyennes de la troposphère.
A cet endroit de l'île nichent également des pétrels géants antarctiques (PGA dans le jargon adélien), majestueux oiseaux de près de 2 mètres d'envergure, pas grand chose à envier aux majestueux albatros de l'océan austral...
Jolis altocumulus lenticularis, et en haut à gauche un PGA

Manchots Adélie fuyant Léo, les altocumulus lenticularis et undulatus prennent un ton rosé des plus photogéniques


Le vent a forci dimanche, et est resté fort pendant quatre jours. De quoi perturber les opérations techniques en extérieur de la fin de campagne d'été, consacrées essentiellement au rangement des différents hangars qui ne serviront pas avant l'été prochain. La faute à une vaste dépression sur l'océan austral, faisant accélérer le vent d'est le long du littoral.

Fugace éclaircie pendant la séquence de mauvais temps : chasse-neige dorée par le soleil rasant du coucher

Le cœur de la dépression s'est dirigé vers DDU dans la journée de mercredi, depuis le Nord-Nord-Est, en continuant de se creuser. Trois facteurs qui expliqueront la virulence observée du vent à DDU.
En effet, comme le vent tourne dans le sens des aiguilles d'une montre autour des dépressions dans l'hémisphère sud, lorsqu'une dépression se situe au nord-est de DDU, le vent catabatique est d'autant plus fort. Lorsque la dépression se rapproche, le gradient de pression augmente, et le vent forcit encore : l'air est aspiré vers cette dépression, et le catabatique sert de "chasse d'air" du continent, qui est, pour simplifier, un dôme d'air froid à la circulation anticyclonique, vers la dépression en mer. Si la dépression se creuse, cela signifie que l'aspiration de l'air accélère.

Image satellite de la tempête, au nord-est de DDU, avec superposition des isobares

Avec ces trois facteurs réunis, il fallait s'attendre à une très violente tempête catabatique !
Dès le dimanche soir, lors du point météo présenté à la réunion de coordination quotidienne du bureau technique, j'annonçais jusqu'à 70 nœuds établis et 100 en rafales entre mercredi et jeudi.
C'est finalement mercredi après-midi jusqu'en milieu de nuit de mercredi à jeudi que le vent s'est déchaîné.
La pression au niveau de la mer a plongé de 34 hectopascals en 12h, atteignant un creux de 956 hPa, le vent a atteint 100 nœuds (soit 185 km/h) en rafales pour un vent moyen sur 10 minutes de 71 nœuds (131 km/h). Cette dernière valeur constitue un nouveau record pour le mois de février !
Le précédent record datait de 1987 et a été battu pour 1 km/h.
Cette perturbation qui a circulé très vite depuis les moyennes latitudes où c'est l'été en Australie et Nouvelle-Zélande, s'est accompagné d'air très doux en altitude, qui n'a pas eu beaucoup de temps ni de trajet pour se refroidir. Résultat : à DDU, la masse d'air s'est considérablement radoucie ; mardi matin, le ressenti approchait les -20 en raison d'une température de -7°C et un vent moyen de 90 km/h...Deux jours plus tard, le thermomètre passait au-dessus de 0 et n'est pas redescendu en dessous depuis. La température minimale de ce 15 février, +1,0°, constitue un record tardif de douceur nocturne ! Autrement dit, passé le 15 février, il n'y a jamais eu, depuis 1956, de température minimale aussi élevée. La neige, plutôt humide,  qui a commencé à tomber mercredi soir, est devenue lourde, mouillée, et la pluie a finalement pris le dessus pendant quelques heures...Les occurrences de pluie ne sont pas rarissimes à DDU, mais elles se produisent en général en décembre ou janvier.
Avec cette douceur, la neige fond et devient toute molle.


Après cinq jours sans possibilité de vol hélico en raison du vent et/ou du mauvais temps, cela a pu se faire ce matin.
J'en étais avec mon collègue Jérémy et Nico, le mécanicien de précision, qui effectuait d'ailleurs son baptême d'hélico, comme moi il y a deux mois.
Démontage de l'anémomètre à D10
L'objectif était de démonter l'anémomètre situé sur la piste d'aviation englacée de D10, où atterrissent les avions en provenance des bases Mario Zucchelli et Concordia. Au programme : désinstallation du panneau solaire qui alimente la station, de l'antenne qui transmet les données météo dans le bureau de la météo à DDU, démontage du mât de 10m, pour ranger le tout dans le shelter qui sera tracté ensuite par un Challenger (un des tracteurs du Raid) sur une petite butte de neige, afin de réduire au maximum l'enneigement.

Déplacement du shelter D10 tracté par le Challenger

On reviendra vers la mi-octobre, pour remonter l'installation, avant l'arrivée du premier avion fin octobre qui signera la clôture de notre hivernage !
La manip' a duré deux heures, malheureusement le temps s'est dégradé et une forte averse de neige a touché le continent. L'hélico, revenu entretemps à DDU, n'a pas pu nous récupérer ! On a donc été accueillis par les gars de la station Robert Guillard à Cap Prud'homme en contrebas pour le déjeuner, avec un retour depuis D10 en tracteur Challenger pour moi, et en Kassboher, un gros véhicule
à chenilles, pour Nico et Jérémy.
Retour à D10 à l'arrière du Kassboher pour Nico

Petite éclaircie en arrivant vers le Cap Prud'homme en Challenger.. au fond, DDU !

A la base Robert Guillard à Cap Prud'homme, l'ambiance est bien différente de DDU. Une petite base composée d'une dizaine de gars qui reviennent pour les trois quarts tous les étés depuis des années, voire des dizaines d'années.
Une communauté un peu hors du temps, essentiellement composée de mécanos, avec une salle à manger conviviale où s'affichent aux murs de vieilles affiches et des coupures de journaux jaunies, issues d'articles de presse quotidienne régionale, consacrées à ces mécaniciens de l'extrême !

C'est (déjà) ma quatrième fois sur le continent, la troisième en hélico, mais l'émerveillement est toujours aussi fort, en particulier quand on survole les falaises de glace du glacier de l'Astrolabe...

L'Astrolabe, l'autre, le navire, a pris du retard dans son approche de DDU, en raison des très mauvaises conditions de mer liées à cette même dépression.
Son arrivée n'est pas prévue avant mardi, et la rotation sera extrêmement courte pour respecter les délais contraints : dès le mois de mars, notre fier vaisseau polaire enfile sa deuxième casquette de patrouilleur austral pour (entre autres) prévenir et lutter contre les pêcheries illégales dans les eaux françaises de l'Océan Indien, autour de la Réunion, des îles Éparses et des Terres Australes...

La température, après quelques jours particulièrement doux, va enfin baisser pour retrouver des niveaux plus conformes pour la période en début de semaine prochaine... on devrait atteindre les premiers -10°C !

En attendant, le traditionnel tableau climatologique mis à jour... avec de nouvelles marques pour la température minimale et le vent !


TM
TNN
TXX
FFM
FXY
FXI
INSOL
-1,8°C
-9,3°C le 09/02
6,4°C le 18/12
31,7 km/h
131,0 km/h le 13/02
185,4 km/h le 14/02
711,3 h

Pour me contacter, j'ai créé un petit raccourci, visible à gauche en version ordinateur (l'adresse n'a pas
changé, c'est toujours gheymes@ddu.ipev.fr ). N'utilisant plus de téléphone,
je ne sais pas si cela fonctionne en version mobile, signalez le moi au besoin !

[\MAJ 18 février]
D'autres records de douceur ont été battus le 16 février : 
  •  température maxi +4.9°C : valeur la plus élevée observée après un 15 février à DDU
  •  température mini +0.1°C : deux jours de suite sans gel en février, ça n'était jamais arrivé à DDU
Après vérification, la pression réduite au niveau de la mer observée le 14 février, 955.9 hPa, est la plus basse observée en février depuis 1978 .
La deuxième décade de février (période du 11 au 20) a enfin toutes les chances d'établir un nouveau record de vent moyen, avec le vent fort du 11 au 13 matin, la violente tempête ensuite, seulement trois jours à peu près calmes du 15 au 17, avant la reprise d'un fort catabatique depuis hier soir, qui devrait durer jusque mercredi matin.

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