Home of the blizzard

Ai-je déjà mentionné que le temps passait particulièrement vite ici ?
Probablement le fait que l’on vit désormais dans une routine confortable, et signe que l’hivernage se passe bien.
Il ne reste désormais plus un seul poussin Adélie sur l’île. Ils sont soit morts de faim, trop faibles pour se nourrir seuls, soit partis à l'eau ; seuls quelques dizaines d’adultes sont revenus pour muer, avant de repartir. La saison de reproduction aura été exceptionnelle, d'après les ornithologues : entre 0,8 et 1 poussin par couple (les manchots Adélie pondent 1, parfois 2 œufs). Certaines années sont beaucoup moins bonnes : il y a deux ans, ce taux était cinq fois moindre, et il y a 4 ans, un épisode de pluie verglaçante avait entraîné la mort de tous les poussins de l’archipel, sans exception.
Les autres oiseaux, pétrels, damiers et skuas sont plus discrets, et vont bientôt entamer leur migration, qui peut parfois les emmener jusqu’en mer du Japon pour certains d’entre eux !
Mars est le mois de l’arrivée en masse des manchots empereurs dans l’archipel. Pour l’instant, ils ne sont pas encore là, on les attend avec impatience !


C’est sous un ciel nuageux et avec un vent fort (25 nœuds), par -9°C, que nous avons réalisé notre photo de mission jeudi. Tous les hivernants étaient présents, pour poser avec un outil ou instrument symbolisant leur fonction à DDU, devant une mer pas encore prise par la banquise.
J’ai emprunté au petit musée de la météo un barographe anéroïde. Cet appareil, désormais remplacé par des capteurs électroniques plus fiables et plus précis, permettait de mesurer la pression à l’aide de capsules qui se déforment avec la variation de la pression. Le mouvement est ensuite amplifié ; un bras muni d’un stylet trace alors la pression sur une feuille de papier millimétrée, collée sur un tambour en lente rotation. On lisait donc directement la variation de pression sur la feuille de papier.


Saurez-vous deviner qui fait quoi à partir de la photo ? 

Une belle photo pour une belle mission !

C'est également jeudi que j'ai pris en photo la curiosité ornithologique de la semaine. Il s'agissait d’un gorfou de Schelegel (et non sauteur !), autre espèce de manchot qui vit à Macquarie, une île subantarctique qui appartient à l'Australie, approximativement à mi-chemin entre DDU et Hobart.. Il était également venu pour muer.

Bien différent des Adélie, avec ses aigrettes blondes et son bec bien plus gros.

La semaine qui vient de s’écouler a été marquée par un temps bien perturbé, avec deux gros épisodes neigeux, et un vent fort et régulier. A l’inverse de ce qui se passe en métropole, la neige s’accompagne de redoux ici, car elle provient de perturbations plus au nord, véhiculant de l’air moins froid que le continent. Le ciel couvert qui les accompagnent empêche également la surface de rayonner et donc de se refroidir. Ainsi, à la fin du premier épisode neigeux, la température est brièvement passée dans le positif : +0,4°C ; quatre jours plus tard, une fois tout l’air doux de la perturbation évacué, le thermomètre indiquait -14,1°C sous abri. Les premiers -15°C auraient pu être observés si les nuits avaient été un peu plus claires.

Et monte monte la congère à la sortie du séjour située sous le vent. Samedi 2 mars au soir

Vue de l'extérieur le lendemain. Il faudra une bonne demie-heure de pelletage pour la dégager ! Merci Nico B. pour l'échelle

Plus que cette variation de température somme toute assez classique en cette saison, c’est véritablement la vitesse moyenne du vent qui a été remarquable en ce début de mois : 55 km/h du 1er au 10 mars !
Le mois de mars est en moyenne le plus venté à DDU, juste devant septembre. Les mois d’équinoxe sont caractérisés par une fréquence plus importante des creux dépressionnaires près du littoral antarctique, lesquels génèrent les épisodes durables de catabatique…
DDU est malgré tout un peu plus à l’abri que certains secteurs, comme celui de Port Martin et de Commonwealth Bay, quelques dizaines de kilomètre plus à l’est. C’est à Port Martin qu’a été mesurée le record absolu mondial de vitesse moyenne de vent sur un mois : 90 km/h, en mars 1950, pendant le tout premier hivernage en Terre Adélie.

Les hivernants de l’époque devaient sans doute déjà connaître la réputation du lieu. L’explorateur australien Douglas Mawson, de retour de sa tragique expédition australasienne antarctique entre 1911 et 1914, avait baptisé le secteur compris entre les glaciers Mertz et Ninnis (deux membres de l’expédition qui y laisseront la vie) « Home of the Blizzard »,en référence au violent catabatique qui y souffle de manière quasi-permanente.
Malgré tout, une telle valeur de vent moyen est un record pour une première décade de mars, en ne considérant que les valeurs enregistrées depuis 1981. Auparavant, les capteurs de vent avaient tendance à surestimer les vitesses dans les plages de vent fort.

Les veilles d’arrivée de grosses perturbations sont souvent de belles journées, bien ensoleillées et avec un vent faible. C’était le cas samedi, et j’en ai profité pour faire une petite balade ensoleillée et solitaire autour de l’île, pour également constater que dans certaines zones bien protégées, l’embâcle démarrait plus franchement… C’était agréable et vivifiant. Le soleil brillait de milles feux, mais est bien incapable de réchauffer l’atmosphère : le maximum de la journée fut de -8°C ; c’est plus bas que les valeurs minimales de température de décembre et janvier dernier. Pendant ces deux mois d’été, les mêmes conditions ensoleillées et peu ventées donnaient des températures maximales entre +2 et +6°C.

Jeune banquise suffisamment solide pour supporter les Adélie (mais pas encore les humains)

Côté activités, j’ai passé pas mal de temps cette semaine pour confectionner le cadeau d’anniversaire « made in DDU » à notre chef de district (Dista dans le jargon adélien), qui fêtait ses soixante ans le 9 mars. Il est de coutume d’offrir à chacun pour son anniversaire des cadeaux faits main sur la base. Les différents matériaux ne manquent pas, les outils et ateliers non plus !
J’ai donc réalisé une boîte à lunettes dans du bois massif, grâce à l’aide précieuse de Raph, le menuisier !

Image rare me montrant en train de réaliser des travaux manuels

Et voilà le résultat ! (les lunettes ne sont pas fournies)

A la fin de cette soirée d’anniversaire, qui correspondait également à la seule nuit claire de la semaine, nous avons pu admirer une aurore bien faiblarde à l’horizon, par -12°C et avec un vent de 25 nœuds. Pendant ce temps, le faisceau laser du lidar scrutait la nuit étoilée, se perdant dans l’infinité de la voie lactée…

Ce genre de ciel étoilé !

Changement d’ambiance ce dimanche, avec le retour de la neige et d’un fort vent catabatique. Il neige de manière continue depuis ce matin, la neige est balayée par le vent et réduit parfois la visibilité à quelques mètres : un véritable blizzard !

Photo prise ce dimanche pendant une relative éclaircie

La semaine à venir sera également bien perturbée, avec de fréquentes chutes de neige jusqu’à mercredi, qui sera, vous l’aurez déjà deviné, une journée bien douce !
Le répit jeudi devrait être de courte durée, une tempête encore plus violente se profile déjà pour vendredi ! Et si on battait carrément un record mensuel de vent moyen cette année ? Réponse dans quelques semaines… La valeur à battre (en regardant les données depuis 1981) est de 50 km/h tout rond, en 1986… à suivre !

Pour clore ce billet, voici comme toujours, le petit tableau climatologique mis à jour au 10 mars :

TM	TNN	TXX	FFM	FXY	FXI	INSOL
-2,7°C	-14,1°C le 08/03	6,4°C le 18/12	34,1 km/h	131,0 km/h le 13/02	185,4 km/h le 14/02	841,4 h