Premier mars, première aurore

Nous voilà entre nous depuis une semaine. Le rythme est bien différent : la base est plus tranquille, plus silencieuse. Plus d'hélicoptère, plus d'Astrolabe, beaucoup moins de communications radio. La base hiverne, il y a beaucoup moins de travaux extérieurs.
L'ambiance dans le groupe d'hivernage est très bonne : une équipe dynamique, sérieuse, beaucoup d'entraide pour les tâches collectives, des soirées cinéma, jeux...

Signe de l'hiver qui vient, la température poursuit sa baisse, bien qu'irrégulièrement.
La mer montre des premiers signes d'embâcle : cela commence par les "pancakes", des formations de glace circulaires qui ressemblent à des crêpes épaisses, ou plus poétiquement, à des nénuphars. Ces premiers signes sont bien fragiles, et ne sont pas garants d'une embâcle généralisée. Au premier coup de vent, ces glaçons disparaissent.

Agglutination de pancakes, le matin du 23 février



Pourtant, il n'y a eu du dégel que pendant 1h12 depuis le 17 février, avec une température moyenne d'environ -6°C ; la neige est bien dure et compacte, et les anciennes zones de fonte sont devenues des surfaces de glace de plusieurs dizaines de centimètres d'épaisseur...Pourquoi la mer a-t-elle autant de mal à geler?
 Il y a d'abord l'action mécanique des courants, du vent et de la houle qui retardent le processus de congélation de l'eau de mer.
Et puis, il y a les lois de la physique.
D'abord, le point de congélation de l'eau de mer  n'est pas à 0°C comme l'eau douce, en raison de la présence de sel : le mélange eau-sel a la particularité (un mélange eutectique, lointain souvenir de mes cours de chimie en prépa) d'abaisser le point de congélation de l'eau. Avec une concentration de 35grammes de sel par litre d'eau de mer, il se situe à -1.9°C. En augmentant la concentration en sel, on abaisse encore le point de congélation, jusqu'à un minimum situé à  -21.6°C, avec une proportion de 220g de sel par litre. Si l'on augmente la concentration de sel, le point de congélation augmente.
Ensuite, l'eau de mer liquide est sombre, elle a un albedo plus faible et capte beaucoup plus d'énergie solaire que la neige ; de plus, la capacité calorifique massique de l'eau liquide est environ deux fois plus importante que celle de l'eau solide : pendant un processus de refroidissement, un kilogramme d'eau liquide doit libérer deux fois plus d'énergie qu'un kg de glace pour perdre un degré.
De plus, le phénomène de congélation est exothermique : le changement d'état de l'eau dégage de l'énergie sous forme de chaleur, avec un ordre de grandeur pas du tout négligeable. Cela retarde la congélation.
Malgré les obstacles de la thermodynamique, l'eau de mer parvient à se refroidir... ce faisant, elle gagne en densité, et plonge, remplacée  par de l'eau moins dense, donc moins froide, provenant de la subsurface. Ainsi, même avec une température moyenne à l'air libre durablement inférieure à 0°C, le processus d'embâcle peut durer des semaines.
Il est déjà bien entamé au fond de l'anse du Lion, entre l'île des Pétrels
et le glacier de l'Astrolabe. Un endroit plat, proche du glacier, d'où déboule de l'air bien plus froid que l'océan. Dans cette petite baie à l'abri de la houle du large, la glace de mer est relativement homogène, sur plusieurs centimètres d'épaisseur.
Les derniers groupes de manchots Adélie juvéniles marchent dessus pour aller vers le large.
Nous avons pu être les chanceux témoin d'une scène de prédation inédite pour moi : la capture de jeunes Adélie par un léopard de mer !
Il y en a désormais deux qui rôdent dans l'archipel, et ils consomment pas mal de jeunes manchots !


Ces manchots Adélie se risquent sur la mince couche de glace, ignorant le danger qui guette...

Le léopard surgit, en cassant la mince couche de glace... panique parmi les manchots


Après plusieurs tentatives, il se saisit d'un manchot, moins rapide dans la fuite que ses congénères


Ce skua également affamé ne réussira pas à récupérer les restes du déjeuner de Léo...

Au loin, un groupe de manchots empereurs reste bien à l'abri sur l'épaisse banquise


Cette première semaine d'hivernage a été consacrée à la mise en hivernage du dortoir été où logeaient bon nombre de campagnards depuis de R0 à R4. Bâtiment rénové qui dispose d'une vaste terrasse ensoleillée, donnant une très belle vue vers la base Robert Guillard sur le continent.
Samedi dernier, deuxième jour d'hivernage, temps parfaitement ensoleillé, vent discret... Conditions parfaites pour organiser notre premier barbecue d'hivernage ! Un moment très convivial et chaleureux, le froid bien sec (-6°C) était largement supportable, et notre chef cuistot Bertrand, hivernant récidiviste à DDU et dans d'autres districts, a su une fois de plus nous régaler les papilles..
Je ne pensais vraiment pas manger aussi bien en venant en Antarctique !


Barbecue ensoleillé en terrasse : à la vôtre !



Ce jeudi, j'étais de service base avec Charles, le mécanicien engins.
Charles a aussi un blog ! Je vous invite à y faire un tour : https://pardelalabanquise.blogspot.com/
Le service base, c'est une journée entière pendant laquelle un binôme effectue les tâches ménagères collectives : plonge, ménage du séjour, des parties communes du dortoir ainsi que les sanitaires, dressage des tables et service des plats.
Il s'agit également d'aider Bertrand et Tony en cuisine, par exemple pour l'épluchage des fruits
et légumes. Aujourd'hui, il s'agissait de choux et de courgettes. Notre cuisiner-intendant et son
acolyte boulanger-pâtissier sont les deux seuls exemptés de service base, tous les autres participent ! En étant donc 21 et en le faisant tous les jours, cela fait en moyenne trois services base par mois.
Une journée que je ne trouve pas désagréable, on passe la matinée au chaud au séjour, un lieu plutôt convivial que l'on a d'ailleurs réaménagé hier, pour changer l'emplacement des tables pour le repas, et libérer suffisamment de place pour pouvoir installer la table de ping-pong au séjour, opération faite en fin d'après-midi, après le ménage du dortoir.

Nouvel aménagement du séjour !

Le ménage du dortoir ("le 42") dure généralement entre 16 et 17h, on a donc deux bonnes heures pour vacquer à nos occupations en début d'après-midi : sieste, promenade sur l'île aide aux manip' d'un des deux ornithos, séance sport. Cette fois-ci, j'ai participé à une formation "pompier lourd" avec un exercice d'extraction de victime. L'équipement, comme son nom l'indique, est
lourd, et il fait rapidement très chaud sous les épaisses combinaisons, muni des nombreux accessoires : gants renforcés, chaussures de sécurité,masque, bouteille à oxygène et casque.



On en vient au sujet que vous attendez tous, et qui vient s'ajouter à la dernière minute a cet article prêt jeudi après-midi. Après une soirée calme, je me couche à une heure tardive ; alors que je m'apprêtais à sombrer dans un sommeil lourd, le téléphone de ma chambre sonne. Il est minuit et demie.
Il s'agit de Mervyn, hivernant instrumentation et également mon binôme pompier, qui appelle pour signaler une aurore !
Je m'habille rapidement et assez chaudement : même s'il fait assez doux, seulement -4°C à 1h, le ressenti est bien plus froid, le catabatique soufflant à 30 noeuds.
Dans le couloir, sur les passerelles de la base, je croise d'autres hivernants également réveillés et émerveillés. L'aurore se dessine à l'horizon ouest, des rideaux verts dansent au-dessus des icebergs, parmi les étoiles, qui scintillent par milliers dans le cœur de la nuit désormais noire. Plus à l'est, le dernier quartier de Lune brille au-dessus du glacier de l'Astrolabe. Admiratif de ce spectacle, je me rends compte que l'intensité lumineuse du phénomène décroît.
Armé de mon appareil photo mais sans mon trépied, après quelques réglages, je réussis à prendre une photo un peu ratée, mais que je tiens quand même à partager !

Ma première photo d'aurore australe !


Un spectacle fabuleux, totalement inédit pour moi !
Très (trop) court, pas plus de dix minutes, qui sera amené à se reproduire lors des prochains orages magnétiques. L'activité solaire étant particulièrement faible cette année, puisqu'on se situe dans le minimum périodique de taches solaires, il devrait y en avoir beaucoup moins qu'habituellement.
Nous serons donc vigilants lorsque l'activité géomagnétique augmentera... Ces nuits-là,
je serai plus prompt à sortir, avec un trépied prêt !

En attendant ces prochaines occasions, voici les données météo à jour du 28 février !
Depuis mon dernier article, la température moyenne a bien baissé, avec un nombre bien appréciable d'heure d'ensoleillement supplémentaires..


TM
TNN
TXX
FFM
FXY
FXI
INSOL
-2,2°C
-13,4°C le 27/02
6,4°C le 18/12
31,6 km/h
131,0 km/h le 13/02
185,4 km/h le 14/02
818,1h

Commentaires

  1. Salut Gaëtan, en retour de tes chroniques très sympas mais fraîches... ici, on bat des recors de chaleur sur toute la France ! Bises

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