Un avant-goût de printemps...

Les jours, puis les semaines continuent de s'enchaîner à une vitesse démentielle à DDU. Pendant ce temps, l'hiver continue, avec des températures encore basses et une banquise qui s'étend à nouveau à perte de vue, mais quelque chose a nettement changé ces dernières semaines : le retour d'un généreux soleil, qui donne un avant-goût de printemps à la vie sur base.
La période du 18 août au 4 septembre a été particulièrement froide, calme et ensoleillée. On a cumulé 120 heures de soleil, avec une température moyenne de -20,7°C et  un vent moyen de 23km/h. Soit 45h de bonus d'ensoleillement, 4,5°C de moins que la moyenne des 30 dernières années, et 34% de déficit de vent.

Pendant cette longue période, la banquise s'est épaissie, et la mer libre, qui arrivait au bout de la Piste du Lion il y a un mois, n'est plus qu'un lointain souvenir. Sa présence est encore rappelée par la différence de texture de surface de la banquise : cabossée par les sastrugi, ces petits monticules de neige qui s'orientent dans la direction du vent,  là où elle avait résisté à la débâcle partielle il y a un mois, et plane, lisse et transparente sur l'ancienne polynie. En l'absence de chutes de neige significatives, certains endroits ressemblent à une patinoire, avec une épaisseur moyenne de 70 cm. La banquise plus ancienne, en place depuis la mi-avril, est épaisse elle de 1m10 en moyenne.

J'ai pu faire quelques sorties plus ou moins lointaines, le 30 août, avec Nico le mépré et Claire la doc, vers les "iles du Zodiaque" qui affleurent à l'ouest  de l'île des Pétrels : Sagittaire, Taureau, Vierge, avec une belle vue sur Pétrels. L'objectif de la sortie, effectuée en courant, était l'île du Gouverneur, à 2 km du Cap Prud'homme et autant de Pétrels, et où j'avais déjà eu l'occasion de me rendre, mais en bateau !  C'était pour ma première manip ornitho, à la mi-janvier. En cette fin de mois d'août, changement d'ambiance : 20 degrés de moins au thermomètre, de la banquise à perte de vue, et une
île déserte, alors qu'au milieu de l'été, elle grouille de manchots Adélie, avec également des skuas et un phoque de Weddell.

L'île des Pétrels depuis le Rocher du Taureau, le 30 août


Selfie de groupe avec Nico et Claire depuis le Sagittaire, le 30 août


Au sommet de Gouverneur, le 30 août. J'aime les panoramas.


Le 4 septembre, avec Claire, Douglas, Guillaume, Mervyn, Nico mépré, Raph et Jérémy, on s'est organisés une petite après-midi ludique sur cette patinoire : vélo sur glace, patinage, et curling. Avec une balle "made in DDU" et un cubi de mauvais vin rouge australien pour réaliser les cibles, j'ai pu
m'essayer à ce sport très ancien, d'origine écossaise, et dont on se moque gentiment une fois tous les 4 ans, lorsque les JO d'hiver sont diffusés à la télé.. Une bonne heure et demie de jeux, avant de rentrer sur base. Il y avait le service base à effectuer, c'est à dire le ménage du dortoir hiver entre 16 et 17heures pour Nico et moi, et certains commençaient à montrer des signes de gelure. Surprise en rentrant, quand on s'est rendus compte que toutes nos affaires étaient couvertes de sel ! Et oui, la banquise c'est salé !...

"La Patinoire" vue de la base : vélo, patinage, curling. Crédit photo Nico B.

Une technique de lancer perfectible


Les balais avaient même été prévus pour cette session de curling


Chaque samedi depuis désormais deux semaines, un foot est organisé sur la banquise dans l'anse du Lion. Cet endroit a le triple avantage d'être à proximité de la base, en Zone 1 du périmètre de sécurité, d'avoir une surface plane et homogène, et d'être à l'écart du passage des manchots empereur.
Le 31 août, les conditions étaient idéales, soleil, vent faible et -20°C ; samedi dernier, 7 septembre, 1°C de plus mais un ciel couvert et quelques flocons, ce qui n'a pas empêché de jouer presque 1h30... et terminer par un solide goûter au séjour !



Les footeux du 31 août en pleine action !



Les footeux du 31 août prennent la pose : Douglas, Norbert, Cédric, Charles, Nico mépré et moi


En cette période proche de l'équinoxe, la nuit se réduit de plus en plus, et il fait désormais jour de 7h à 18h30 ! Cela va très vite ; dans un mois, il n'y aura plus de nuit noire, dans deux mois, on ne verra plus d'étoiles, et dans trois mois, ce sera le jour polaire... Il fera alors jour 24h sur 24,
comme à mon arrivée, même si le soleil continuera de se cacher derrière le continent antarctique à l'horizon sud, au moins 1h30 par jour.

J'ai donc profité des récentes nuits claires et sans Lune, pour immortaliser le ciel étoilé, fin août.
Lorsque le ciel est clair et sans lune, le spectacle, notamment celui de la Voie Lactée, est magnifique, à un endroit où ne passe aucun avion et où il n'y a pas de pollution lumineuse en dehors de celle des éclairages extérieurs, et dont on peut facilement s'affranchir en s'éloignant un peu des principales sources de lumière.

La Voie Lactée, nuit du 30 au 31 août


Vue de la base sous les étoiles, depuis l'abri côtier en contrebas. On distingue la fumée de la centrale électrique, en pose longue, nuit du 30 au 31 août

La Voie Lactée, avec une timide lueur d'aurore à l'horizon, nuit du 30 au 31 août


Grandiose voûte étoilée, avec le Mont d'Or (31m) en ombres chinoises, nuit du 30 au 31 août


Cette période coïncidait avec un orage magnétique, plus précisément une éjection coronale de masse, c'est à dire un intense flux de particules solaires, qui interagissent avec les molécules de gaz de la haute atmosphère pour donner les aurores... Incontestablement, les plus belles aurores de tout l'hiver furent celles des 1er et 2 septembre !
La période avait beau être glaciale, et même l'une des plus froides de tout l'hiver : -26,2°C en moyenne lundi 2 septembre, je pressentais que c'était peut-être l'ultime occasion de voir d'aussi belles aurores. Muni de sous-pantalon, pantalon grand froid, deux épaisseurs de T shirt thermiques, une polaire, une veste chaude, un cache-cou, une cagoule, un masque, deux paires de sous-gants et des moufles grand froid, la position statique restait supportable, un peu moins pour la batterie
de l'appareil-photo, qui à -28°C ne tient pas plus d'une demie heure... Un festival coloré, et, contrairement à la précédente grande nuit d'aurores le 9 juillet, sans Lune !

Aurore australe en direction du glacier de l'Astrolabe, depuis le sommet de l'île des Pétrels, nuit du 1er au 2 septembre

L'aurore rayonne au-dessus de la base, nuit du 1er au 2 septembre

Puissante aurore visible malgré l'éclairage extérieur, nuit du 1er au 2 septembre

Vue vers l'ouest, nuit du 2 au 3 septembre. Au premier plan, les rochers du Zodiaque, de droite à gauche


Vue vers le zénith, le faisceau du Lidar n'est pas la seule source de lumière verte !


Désormais, le soleil se couche au-dessus du continent. C'était à 17h46 le 6 septembre, et ce moment coïncidait avec un lâcher de sondage ozone, qui sert à déterminer le profil vertical d'ozone dans la stratosphère.


Radiosondage ozone au moment du coucher du soleil, le 6 septembre


Du côté de la manchotière aussi, beaucoup de changements ces dernières semaines. Les poussins ont bien grandi, et sont désormais indépendants thermiquement : leurs parents n'ont plus besoin de les garder au chaud dans les plis de peau du bas de leur ventre. On les voit partout, parfois encore entre les pattes de leurs parents, parfois courant à petites foulées au milieu des adultes, parfois aussi en crèches. Comme les manchots Adélie, ils s'y rassemblent jusqu'à plusieurs dizaines d'individus. On pourrait facilement les confondre avec des tas de peluches, tellement leur plumage blanc-gris paraît doux, tellement qu'ils sont choupis, avec leur visage noir et blanc, leurs petits becs, leurs moignons d'aile et leur piaillements plaintifs.


La manchotière sous la neige fraîche, 8 septembre... 3600 adultes au photocomptage !



Petit coin de ciel bleu au-dessus du glacier de l'Astrolabe


Différents stades de croissance pour ces peluches vivantes...



Sous un autre angle, vue vers l'île des Pétrels, et du cirrostratus dans le ciel, à l'origine du phénomène de halo


Choupis mais vulnérables. La mortalité infantile est fréquente chez les manchots empereurs. Parfois, il s'agit de victimes collatérales des tentatives de rapt des adultes...Les couples qui ont échoué à se reproduire, la plupart du temps en perdant l’œuf, essaient de voler le poussin des autres.. La faute aux hormones, dont ils sont encore gavés, et qui les poussent à s'occuper d'un petit, quitte à voler celui des autres !
Autre facteur de mortalité, la prédation par les pétrels géants antarctiques, qui reviennent entre juillet et août, et qui s'attaquent aux poussins faibles ou abandonnés et isolés.


Prédation d'un poussin empereur par un pétrel géant antarctique, 7 septembre


Le dernier facteur de mortalité des poussins est celui qui est le plus préoccupant cette année : le manque de nourriture pour les jeunes. En effet, il n'y a pas de polynie à moins de 80 kilomètres de la colonie, conséquence du temps froid et calme des dernières semaines, qui a concentré et épaissi notablement la banquise. Les adultes doivent donc effectuer un très long chemin sur la banquise, où ils se déplacent à 1 km/h en moyenne, pour aller se nourrir. Épuisés par le trajet de plusieurs jours, ils sont plus vulnérables à la prédation des léopards de mer ou des orques. Pendant ce temps, l'autre parent garde le poussin.
Si l'absence du premier parent parti vers la polynie est trop longue, le second, affamé, va privilégier sa propre survie plutôt que celle de son poussin, l’abandonner et donc réduire à néant l'investissement colossal consacré à sa progéniture. Le manchot empereur, à l'espérance de vie longue et à la reproduction rare et tardive (un seul poussin par an et par couple) adopte la stratégie dite "K". Il investit énormément d'énergie pour assurer sa descendance, passant plusieurs semaines dans le blizzard à couver son œuf, puis nourrir son poussin, mais quand les facteurs extérieurs hostiles s'accumulent, il est préférable, dans l'intérêt de son espèce, d'assurer sa propre survie plutôt que celle du petit.

Un poussin plus autant affamé qu'inconscient du danger suit son parent bien en dehors de la colonie.


"il ne faut pas que tu me suives", semble chanter l'adulte à son petit


Pendant ce temps, Norbert et Greg ont aussi rejoint à la manchotière


Dans les années 1970, la population de la colonie d'empereurs de l'archipel de Pointe Géologie s'est effondrée passant de 8000 à 4000 couples en deux ans à peine. Il a été mis en évidence que deux années consécutives de forte surmortalité adulte en est l'origine, avec de mauvaises conditions de glace de mer, conduisant à l'absence de nourriture pour les adultes.

Si les conditions de banquise n'évoluent pas, autrement dit s'il n'y a pas de gros épisode catabatique dans les prochains jours, la mortalité des poussins empereurs risque de devenir très importante, voire totale ! Cela s'est vu il y a quelques années, lors qu’aucun poussin empereur n'avait survécu...
Espérons que cela ne se reproduise pas cette année !

On termine avec le classique résumé climatologique !



TM
TNN
TXX
FFM
FXY
FXI
INSOL
-10,6°C
-31,8°C le 05/06
6,4°C le 18/12
34,8 km/h
142,6 km/h le 31/07
200,8 km/h le 01/08
1252,2 h















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