Encore quelques jours de silence


Ambiance feutrée à DDU sous une neige légère, le 8 octobre



A force d'y être immergé, on oublie aisément que le silence fait partie de notre environnement quotidien.
Bien sûr, il y a la manchotière et ses milliers d'empereurs , les poussins piaillent, les adultes chantent. 
Rassurez-vous, les poussins sont bien nombreux cette année. La violente tempête du 20 septembre a permis de fragmenter la banquise au large. La polynie s'est rapprochée à une vingtaine de kilomètres, ce qui facilite les allers-retours des adultes pour aller nourrir leur progéniture, ainsi la mortalité des poussins a drastiquement baissé depuis quinze jours !

Petit tour à la manchotière, le dimanche 6 octobre au matin

Un pétrel géant antarctique à l'affut des poussins empereurs vulnérables


Il y a aussi le bruit du vent, élément indissociable de la vie en hivernage à DDU. Très régulièrement rivé devant les données météo disponibles en direct sur notre intranet, j'ai conçu une sorte d'anémomètre auditif et j'en arrive à connaître approximativement la force en tendant l'oreille depuis ma chambre. Les premières rafales se font entendre à 20 nœuds, c'est d'abord une rumeur, un bruit extérieur évanescent. A 40 nœuds, c'est un sifflement persistant, avec parfois des bruits plus sourds, lorsque les rafales tourbillonnent sous le dortoir. Et quand vient la tempête, et que les rafales atteignent les 60 nœuds, le vrombissement est continu, et voilà que le bâtiment frémit, quasi-imperceptiblement. A 75 nœuds, ou 140 km/h, on est bercés par les tremblements du dortoir.
Au-delà, les valeurs sont assez rarement atteintes, et c'est surtout le bruit causé par la violence des rafales sur les murs et fenêtres qui nous empêche de dormir, ou accompagne des rêves tourmentés.

Hiverner à DDU, c'est ainsi accepter une certaine routine sonore.. Le calme du "42", le dortoir des hivernants, parfois interrompu par des chuchotements furtifs dans le sas de sortie, des bruits de pas feutrés, une porte qui se ferme. La règle d'or est de respecter le calme qui y règne, car certains dorment en décalé et se reposent en journée. Exception faite du service base, lorsque le binôme du jour passe l'aspirateur dans les parties communes, dans une plage horaire bien définie, 16h - 16h30.
Au séjour, lieu de vie, où sont pris les repas et où se déroulent l'essentiel des soirées, c'est un fond sonore logiquement plus important.
En cuisine, Tony et Bertrand nous concoctent les prochains repas. Le service base à la plonge nettoie la vaisselle après les repas. Sur les vieilles enceintes posées à même le sol passe souvent la musique choisie par leur soin. Au petit-déjeuner par contre, on retrouve souvent la playlist de la personne qui vient de terminer son quart de nuit à la centrale. Lorsqu'il s'agit de Johnny Hallyday ou de Scorpions, on sait que c'est Norbert, le chef centrale, qui vient de terminer son quart!
Et puis bien sûr, le bruit des hivernants. Ici, une partie de billard qui se termine parfois tard le soir, accompagnée quelques verres de "Berri", le médiocre vin blanc australien en Cubi, là un petit groupe qui discute de part et d'autre du bar, à la main une canette de Heineken ou Carlsberg. Dommage que l'IPEV ait de si piètres standards en ce qui concerne la bière ! L'avantage, c'est que lorsque quelqu'un partage une bonne canette issue de ses malles, chaque gorgée est un privilège dont il convient de profiter. Je me rappelle encore des Guinness pour la Saint Patrick, ou encore de la Triple Karmeliet à l'occasion d'une soirée d'anniversaire.

Les repas bien sûr, moments privilégiés pour les discussions, dans une ambiance de fin d'hivernage bien particulière, souvent bruyante, que j'aurai l'occasion de décrire, et qui me plaît vraiment.
Là aussi, une routine s'est installée, à commencer par le plan de table. Arrivés à un certain point de l'hivernage, des groupes se sont formés, en fonction de l'âge ou des affinités. Tacitement, certaines places semblent "réservées"...
Et puis vient le soir, qui se ponctue, deux à trois fois par semaine en moyenne, par un film projeté sur le grand écran du séjour. Ces trois derniers jours par exemple, "Pirates des Caraïbes", "Les Visiteurs" ou "Tais-toi !" Le mercredi en général, c'est soirée jeux ; le lendemain, c'est le "jeudi de la connaissance", l'occasion pour un hivernant de présenter quelque chose qui lui tient à cœur.
J'avais beaucoup apprécié l'exposé de Douglas, manchologue et auteur d'un périple en kayak sur les côtes du nord de la Méditerranée, de Gibraltar à Istanbul, pendant un an. Nico l'informaticien nous a raconté sa participation au 4L Trophy. Raph le menuisier nous a expliqué le compagnonnage. Jérémy, mon collègue météo, a présenté avec son humour bien particulier, la Guyane où il a travaillé trois ans. De mon côté, une (inévitable!) présentation sur le catabatique. C'est aussi l'occasion de parler en détail de son travail. Charles m'a appris beaucoup de choses sur les différents engins présents à DDU  ; Norbert et Maëlle, au sujet du fonctionnement de la centrale ; grâce à Virgil et Douglas, les manchots empereurs n'ont plus beaucoup de secrets pour tous; Guillaume, à propos des nuages stratosphériques, les fameux PSCs qu'il a suivi une partie de l'hiver grâce au Lidar ; et toute la team Géophy, Mervyn, Guillaume et Nico, au sujet des aurores en début d'hivernage, ce qui m'a bien aidé pour mon propre article de blog il y a quelques mois.

Le vendredi, il y a souvent un apéro délocalisé sur l'un des lieux de travail des hivernants : à la météo, au BCR (bureau de communication radio), aux labos scientifiques (Géophy, Glacio), et même à la Centrale. Le dernier en date était à "la Garagerie", mix entre le garage de Charles et la menuiserie de Raph.
On célébrait alors conjointement le déshivernage des Challengers, ces énormes tracteurs présents sur le Raid vers Concordia, et la magnifique réalisation de Raph, une table pour le dortoir d'été.

Raph et son oeuvre



Parfois, il y a "Skuarock", le nom de la radio amateur installée de la base. On déménage alors à Géophy, et on devient pour une soirée animateur radio, avec des chroniques préparées (ou pas!) à l'avance : horoscope, flash DDU News, chronique "Polo la science"...

La fine équipe d'animateurs Skuarock, le 26 juillet. De gauche à droite Virgil, Douglas, moi, Mervyn, Nico le mépré, Jérémy, Charles et Guillaume


C'est souvent le vendredi qu'a lieu la manip' vivres. Tous les hivernants présents sur base se retrouvent à 13h15, et forment une chaîne depuis le "-20" ou le "+4" vers le séjour, afin d'acheminer les vivres nécessaires aux différents repas de la semaine, au moyen d'une longue chaîne humaine... S'il y a blizzard le vendredi, elle est décalée au samedi. Et si le samedi il y a encore blizzard, il faut quand même la faire !

Manip' vivres dans le blizzard, le samedi 20 juillet


Le samedi soir, l'ambiance est plus festive. C'est ce jour-là que sont fêtés notamment les anniversaires. Bertrand et Tony nous préparent un bon repas, et le séjour est souvent animé jusque tard dans la nuit, et peut se vider temporairement pour aller admirer une belle aurore australe !

Joyeux anniversaire Charles !

Photo de groupe devant l'aurore, pendant la soirée d'anniversaire de Charles, le 28 septembre. Treize hivernants, Coco le perroquet conçu par Maëlle et notre fameuse panthère en mousse !




Le dimanche est pour le coup plus calme. Les footeux dont je fais partie se donnent rendez-vous à 16h pour une petite partie sur banquise, avec parfois des manchots empereurs très curieux comme spectateurs ! Sinon, ça peut aussi être une session luge sur la pente qui donne directement sur l'Anse du Lion !

Session luge un dimanche après-midi


Lundi matin, et une nouvelle semaine commence, immuablement débutée par la traditionnelle réunion du lundi matin, animée par le Dista. Des rappels sur la sécurité, un point sur les activités à venir ou le calendrier des prochaines tâches communes à toute la base, comme par exemple la vidange du "-20", l'entrepôt où sont stockées les vivres surgelées, qui a eu lieu ces derniers jours, pour procéder à son nettoyage. Puis vient un tour de table, où Laurent le chef technique et Claire la médecin interviennent régulièrement.

Le Kässbohrer Pistenbully en train de détruire la congère du "-20"


A la salle de sport, où je me rends encore 3 à 4 fois par semaine, le bruit est celui du rameur, qui a pris pas mal de service dernièrement : un "défi rameur" est organisé avec les autres bases subantarctiques, Kerguelen, Crozet et Amsterdam. L'épreuve n'avait pas pu être faite pendant les Jeux Australiques, la séance de rattrapage a lieu pour le week-end du 20 octobre, notre avant-dernier de l'hivernage.
C'est aussi celui du tapis de course, que j'utilise régulièrement, des vélos, elliptique ou classique, du banc de musculation (là j'avoue, je suis moins assidu), tandis qu'un vieux poste radio lit un CD parmi la collection vintage accumulée depuis des années sur base. Étrange sensation que d'effectuer son entraînement au son d'un vieil album "Tubes 2003".

Une routine sonore, dans laquelle s'immisce le bruit du vent. Ces derniers temps, il a été particulièrement calme, permettant de profiter du silence qui règne sur base.
Il faut s'éloigner de la centrale, ou de l'énorme et bruyant filtre à air installé par le CEA, délaisser la manchotière ou les abords de l'Anse du Lion, où les manchots empereurs circulent en toute liberté. On ne trouve alors que le bruit du vent et celui de nos propres pas sur la neige, et on peut admirer le ciel si pur, avec des formations nuageuses intéressantes, comme les halos formés par les cirrostratus, ou des enchevêtrements d'altocumulus lenticulaires...

Halo solaire, le 22 septembre

Altocumulus lenticulaires, le 1er octobre

Une sensation de liberté totale ! Dix mois que je ne suis pas sorti d'un périmètre de quelques kilomètres carrés, pourtant aucune sensation d'oppression, ni d'enfermement. C'est cette routine du silence que j'apprécie. La nuit, c'est encore plus grandiose, quand se montrent les aurores australes. Celles-ci deviennent de moins en moins visibles, car il fait jour de 5h à 21h désormais, et cela change très vite, on gagne quasiment une heure de soleil par semaine actuellement.
Le silence aussi est en sursis. Dans dix jours viendront par dizaines, puis par centaines, et enfin par milliers, les manchots Adélie. Une page de l'hivernage, qui avait débuté en concomitance avec le départ massif de nos résidents plumés, va se tourner.
Au bruit intermittent du vent dans le dortoir s'ajoutera donc celui, incessant des manchots, qui pullulent l'été. Et puis dans un mois, les communications en VHF décuplées, le bruit de l'hélico... Je finirai par m'habituer à leur présence, tout comme à celle de l'absence de silence. D'ici là, il s'agit d'en profiter au maximum !

Comme d'habitude, je termine par le petit tableau climatologique résumé !
La valeur de la vitesse moyenne du vent a baissé, tout comme celle de la température moyenne. On est dans une période relativement froide depuis le 15 août, ce sera d'ailleurs l'objet de mon prochain article...

 

TM
TNN
TXX
FFM
FXY
FXI
INSOL
-11,2°C
-31,8°C le 05/06
6,4°C le 18/12
33,6 km/h
142,6 km/h le 31/07
200,8 km/h le 01/08
1434,7 h







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