Un événement stratosphérique !

Un événement remarquable a eu lieu dans la stratosphère antarctique à la fin du mois d'août. Rappelons que la stratosphère est la couche de l'atmosphère située entre 10 et 50 km au-dessus du sol. C'est elle qui contient la couche d'ozone, indispensable à la vie sur Terre, en empêchant les rayons UV du soleil de littéralement irradier les cellules des organismes vivants.
En Antarctique, la couche d'ozone subit des variations saisonnières marquées. En général, et ce depuis une trentaine d'années, on assiste en fin d'hiver et début de printemps austral (août et septembre) à un effondrement de la concentration en ozone dans la stratosphère. Il s'agit du célèbre "trou d'ozone", constaté dans les années 1980, et dont l'origine anthropique a été démontrée par le physicien britannique Farman.

Le rejet massif, pendant de nombreuses années, de composés chlorés à longue durée de vie pour des applications industrielles, les chlorofluorocarbures (CFC), a déséquilibré le cycle naturel du chlore dans la stratosphère, et entraîné plus de destruction que de formation d'ozone, en particulier en fin d'hiver lorsque certaines conditions sont réunies: stratosphère encore très froide, et retour du soleil pour catalyser la réaction de destruction de l'ozone.

Le protocole de Montréal, visant à interdire l'utilisation des CFC, composés à l'origine de la destruction de l'ozone stratosphérique, en est la conséquence directe.
C'est un protocole très exigeant, et qui commence à faire ses effets, avec une légère augmentation de la quantité d'ozone en Antarctique. Le retour à la normale, soit la même quantité d'ozone qu'avant  les effets des CFC jusque dans les années 1980, devrait intervenir vers 2050/2070.
Le suivi de la couche d'ozone, et notamment sa destruction par le biais des nuages stratosphériques polaires, les fameux PSC, est l'objet du programme LIDAR à DDU, conduit par Guillaume. Ils se forment à des températures inférieures à -78°C, et sont composés de chlore, qui intervient dans la réaction photochimique de destruction de l'ozone.  Ces valeurs sont plus rarement atteintes dans la stratosphère arctique, c'est pourquoi il n'y a pas, dans l'Hémisphère Nord, de trou d'ozone aussi important qu'en Antarctique.

Pourtant, cette année, le trou d'ozone est exceptionnellement peu marqué, et la concentration d'ozone est parfois 50% plus importante qu'il y a tout juste un an ! Que s'est-il passé ? La durée de "guérison" de la couche d'ozone aurait-elle été surestimée ? Ou il s'agit de toute autre chose ?

Vous l'aurez sans doute deviné, il ne s'agit pas de la première réponse.
A la fin du mois d'août, un réchauffement très rapide (Sudden Stratospheric Warming ou SSW en anglais), a eu lieu dans la stratosphère, de l'ordre de 40°C en 48 heures au niveau 20hPa (environ 25km d'altitude).
Cela a entraîné une déstabilisation du vortex polaire, cette dépression d'altitude, caractérisée par de l'air très froid, centrée au-dessus du pôle sud durant les mois d'hiver austral, et autour duquel souffle un très fort vent d'ouest. Celui-ci s'est déplacé vers la péninsule antarctique, en s'affaiblissant.
Le réchauffement s'est ensuite propagé vers la basse stratosphère, de manière plus lente et moins prononcée.
Au dessus de DDU, au niveau 150 hPa par exemple (soit 12 km d'altitude), la température la plus élevée a été observée le 21 septembre :  -43°C, alors qu'au cœur de l'hiver, elle est descendue jusqu'à -78°C.

Température et vent à 10 hPa (~30000m) le 24 août 2019. Le vortex est assez peu étendu mais compact, centré sur la mer de Weddell, avec des températures de 190K (-83°C). Le vent est violent autour du vortex, jusqu'à 240 noeuds (400 km/h) dans la stratosphère



Même chose, 5 jours plus tard seulement. Le vortex s'est affaibli et décalé loin du pôle. La température atteint 268K (-5°C !) sur l'est de l'Antarctique.




Graphique des températures relevées à des niveaux de pression bien définie dans la stratosphère, du 1er juin au 18 septembre. Le SSW a lieu entre les 27 et 29 août. En moyenne stratosphère, la température la plusélevée est atteinte le 11 septembre, avec -14°C à 22hPa (25000m). En basse stratosphère, à 150 hPa (12000m), le maximum sera atteint 10 jours plus tard.




Ces événements sont fréquents dans l'Hémisphère Nord, de l'ordre de 1 par an en moyenne, mais la configuration y est différente. La répartition des masses continentales dans l'Hémisphère Nord favorise la formation puis la propagation d'ondes de Rossby, des perturbations de la circulation atmosphérique en altitude, quipeuvent à leur tour interagir avec le vortex polaire stratosphérique arctique et le déstabiliser.

Revenons en Antarctique, où ces événements sont bien plus rares.
Le vortex polaire y est bien plus stable. La configuration est à l'exact opposé de l'Arctique : un dôme continental entouré d'océans. Le seul relief d'ampleur sont les Andes, beaucoup moins élevées et larges à la latitude des Montagnes Rocheuses et de la chaîne de l'Alaska dans l'hémisphère nord, et donc beaucoup moins susceptibles de perturber l'écoulement.
Un réchauffement stratosphérique soudain est qualifié de majeur lorsqu'on constate une inversion des vents zonaux à 10hPa (c'est à dire lorsque les vents vers 30km d'altitude passent de l'ouest à l'est). Sinon, on parle de SSW mineur. Le seul SSW majeur auparavant observé au-dessus de l'Antarctique, c'était en 2002.
Finalement, l'événement de cette année semble être resté "mineur", comme celui de 2010.
Ce réchauffement soudain aura quand même bien chamboulé le vortex.

Les conséquences plus près du plancher des manchots, dans la troposphère, existent mais sont encore assez méconnues.
En particulier, l'affaiblissement des vents d'ouest dans la stratosphère devrait intensifier les flux méridiens dans la troposphère, et ralentir la circulation circumpolaire. On attend donc une diminution de la banquise plus rapide que la moyenne, et en Nouvelle-Zélande et au sud de l'Australie, un printemps austral avec possibilité de coups de froid tardifs. En 2002, année du seul SSW majeur, octobre avait été particulièrement froid en Nouvelle-Zélande.

C'est cet événement qui est à l'origine de la plus grande concentration en ozone cette année, et qui explique pourquoi  le trou d'ozone est plus réduit que les années précédentes, cantonné là où le vortex s'est recroquevillé.
La comparaison avec l'année dernière, année "normale" pour le vortex, est spectaculaire !

Comparaison du trou d'ozone entre 2018 et 2019. Données CNPP/OMPS, via Colin Seftor, scientifique au NASA Goddard Institure




Du côté des conditions météo à DDU, difficile de faire un lien, mais entre le 15 août et le 10 octobre, le temps est resté particulièrement froid, sec et peu venté. Une longue période de 59 jours consécutifs avec température minimale inférieure à -15°C vient de s'achever ce dimanche 13 octobre. Ce n'est pas une série record, mais aussi tard dans la saison, c'est suffisamment notable. Dans le même temps, sur les mois d'août et septembre, la température la plus élevée a été de -9,3°C, début août. Là, il s'agit d'un record depuis 1956. Période marquée par un déficit exceptionnel de douceur plutôt qu'un froid exceptionnel, puisque les températures minimales ne se sont pas abaissées en dessous de -30°C. La température la plus basse de mon hivernage restera donc celle du 5 juin, avec -31,8°C !

Ce dimanche, les conditions étaient particulièrement douces. La douceur est consécutive à la perturbation bien active, qui nous a concerné vendredi 11 et samedi 12 octobre. Dans son sillage, elle a apporté de l'air plus doux. Cela a chauffé fort aujourd'hui grâce au soleil généreux : -6,3°C, on avait pas eu autant depuis le dégel de fin juillet... La journée était idéale pour de longues sorties sur la banquise, et une importante manip phoques était prévue. J'ai pu y participer, mais j'aurai l'occasion d'y revenir dans un prochain article !

Plus que le froid, c'est aussi la faiblesse du vent qui a été exceptionnelle en septembre, et ce malgré la violente tempête du 20. La moyenne sur l'ensemble du mois est de 22 km/h, alors que la normale 1981/2010 est de 37 km/h, et que septembre a la deuxième plus forte valeur de vent mensuel moyen sur cette période, derrière mars.

Graphique 2D comparant température moyenne et vent moyen en septembre depuis 1981. Sur les 39 dernières années, septembre 2019 est le plus calme et le 4ème plus froid



L'anomalie froide de septembre est relativement étendue sur le littoral de l'Antarctique de l'Est. A l'échelle globale, il s'agit d'ailleurs de la plus forte anomalie mensuelle, mais elle ne compense pas l'anomalie globale positive de 0,48°C par rapport aux moyennes 1981/2010. Septembre 2019 a été le plus chaud observé de l'histoire récente, à égalité avec 2016, marquée par un puissant phénomène El Niño, ce qui n'est pas le cas cette année.

Anomalies de température en septembre par rapport à la moyenne 1981/2010. L'anomalie à 64S, 150E atteint -7°C, diluée dans une anomalie globale de +0,48°C, pour laquelle l'Hémisphère Nord et surtout l'Arctique sont d'importants contributeurs, faisant de septembre 2019 le plus chaud observé, malgré l'absence d'El Niño, qui se traduirait alors par de fortes anomalies positives sur le pacifique équatorial de l'est.



Cette anomalie froide, si on peut difficilement la relier avec le SSW en cours, résulte dans tous les cas d'une rétroaction positive, qui met en jeu une anomalie d'extension de la banquise.
En l'absence du passage de tempêtes au large de la Terre Adélie, la banquise s'est étendue de manière significative durant le mois d'août.
En septembre, elle était donc présente sur une zone où elle n'est en général pas présente. Ainsi, vers 61-62° Sud, au lieu d'avoir de l'eau libre, on trouvait la majeure partie du mois, une banquise assez compacte. Là dessus, le temps calme dominant du mois précédent amplifie l'anomalie thermique négative, en raison d'une modification de l'albedo.


 

Extension de la glace de mer (un pixel blanc correspond à une concentration de glace de mer d'au moins 15%) en 2019, comparée à la médian 1981/2010, en orange. L'anomalie est particulièrement importante au nord de DDU




Le phénomène inverse est observable au large de la Terre Marie Byrd, dans le Pacifique Sud-Est, vers 120W sur cette carte : absence de banquise alors qu'elle est généralement présente conduit à une forte anomalie positive de température.

A l'échelle hémisphérique, c'est à dire pour l'ensemble de l'Antarctique, l'extension de glace de mer (superficie totale d'océan avec au moins 15% de glace) a atteint son maximum annuel le 30 septembre, sur 18,4 millions de km².
Cette valeur se situe un peu au-dessous de la moyenne 1981/2010 ; contrairement à l'Arctique où la tendance à la diminution de la banquise est très marquée et irréversible (de l'ordre de -12% par décennie pour le mois de septembre qui correspond au minimum annuel), en Antarctique c'est surtout la variabilité naturelle qui explique encore la variation d'extension de banquise d'une année à l'autre. Depuis trois ans, la banquise reste moins étendue que la moyenne, après les années 2013 à 2015 record.

Graphique représentant l'extent ces dernières années. 2019 se situe encore légèrement au-dessous de la moyenne 1981/2010, confirmant la tendance déficitaire depuis septembre 2016.



Du côté de DDU, la polynie s'est rapprochée après la violente tempête du 20 septembre ; la seule du mois d'ailleurs, avec une rafale maximale de 196 km/h.
Auparavant située à plus de 60 kilomètres, elle est désormais à une vingtaine de kilomètres, on l'aperçoit surtout quand le ciel est gris, ce qui améliore le contraste à l'horizon. Au-delà, le pack s'étend sur encore plusieurs centaines de kilomètres...



Image satellite MODIS/Terra du 18 septembre : la polynie, visible en bleu, se situe à 64km de DDU.

 

Image satellite MODIS/Terra du 21 septembre, après la tempête : la polynie se situe désormais à 18 km !



Comme d'habitude, le traditionnel tableau climatologique résumé !


TM
TNN
TXX
FFM
FXY
FXI
INSOL
-11,3°C
-31,8°C le 05/06
6,4°C le 18/12
33,4 km/h
142,6 km/h le 31/07
200,8 km/h le 01/08
1475,4h







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Etape à Hobart