A propos du Raid et de Concordia

Dans mon précédent article, j'ai rapidement évoqué le Raid, reliant les deux stations franco-italiennes Robert Guillard au Cap Prud'homme et Concordia sur le Dôme C. Cela mérite un article dédié.

Le raid est le surnom du convoi logistique organisé par l'IPEV pour acheminer à Concordia tout ce qui sera nécessaire à l'hivernage. Située à 1100 km au sud de DDU, Concordia est depuis 2005 la troisième base de l'intérieur de l'Antarctique occupée toute l'année, après la base américaine Amundsen-Scott située au pôle sud géographique et Vostok, la base russe détentrice du record mondial de froid : -89.7°C le 21 juillet 1983. La plupart des bases antarctiques sont côtières, et les autres bases de l'intérieur ne sont occupées que l'été.

Carte des bases de l'est de l'Antarctique. Source intranet DDU

Le froid est également extrême à Concordia, les températures s'abaissant fréquemment sous -70°C l'hiver, parfois -80°C, et ne dépassent pas -20°C en été ! Pourquoi avoir construit une base scientifique dans un endroit aussi inhospitalier et isolé ?

Concordia est situé sur le dôme C, à un endroit où la calotte antarctique est non seulement très épaisse, plus de 3200m, mais où elle est relativement immobile. Une masse colossale, tombée sous forme de neige et lentement compactée en glace au fil des ans, qui renferme l'histoire de la composition chimique atmosphérique sur des centaines de milliers d'années. Le forage Epica conduit à Dome C à la fin des années 90 a permis d'établir avec une bonne précision l'historique de la température grâce à ce qu'en paléoclimatologie on appelle un "proxy" : la concentration en deutérium, un isotope de l'hydrogène, dépend de la température ; en la calculant dans la glace, on peut en déduire la température qu'il régnait à ce moment là.

Le sommet de la calotte antarctique est également l'endroit sur Terre où l'air est le plus pur, car éloigné de toute source de pollution humaine, et le moins turbulent, en raison du grand froid et de sa très faible quantité en vapeur d'eau. Cela en fait un excellent site d'observation astronomique. Grâce en outre à la nuit polaire, on peut suivre des objets célestes sur de longues périodes. C'est ainsi à Concordia qu'ont été découvertes de nombreuses exoplanètes, ces petites "Terre" tournant autour d'un autre soleil, et que l'on peut détecter en analysant les interférences du champ magnétique générées par l'occultation périodique de la planète en révolution autour de l'étoile.

Enfin, de par son isolement, ses conditions de vie extrêmes et l'absence totale de vie sur le sommet du continent (ni manchots, ni phoques, ni pétrels..), Concordia est un bon laboratoire pour recréer les conditions d'isolement similaires à celles de l'espace. L'agence spatiale européenne envoie donc chaque hiver un médecin qui étudie les réactions (physiologiques, psychologiques..) de l'organisme dans un tel environnement.

De nombreux autres programmes de recherche ont été lancés, ils concernent l'étude du trou de la couche d'ozone, l'évolution des différents cycles biogéochimiques au cours des précédentes ères géologiques, l'étude de l'interaction entre la glace, l'océan et l'atmosphère, etc.

Vue de la base Concordia. Source site internet IPEV

Il faut donc acheminer tout le matériel nécessaire au fonctionnement de la base et à la réalisation des programmes scientifiques sur Concordia, de même qu'il faut rapatrier les déchets pour les traiter en Australie ou en France. La seule solution reste la voie terrestre, et elle passe par la Terre Adélie.

Trois fois par été, une caravane d'énormes tracteurs s'élance à l'assaut du Dôme C depuis Cap Prudhomme. Les 1100 km sont parcourus en une dizaine de jours, avec une vitesse maximale de 12 km/h une fois les plus fortes pentes proches du littoral dépassées. Ces véhicules, des Caterpillar Challenger valant 650 000€ chacun, sont "antarctisés", c'est à dire avec une mécanique adaptée aux conditions (température, pression) particulières du continent glacé. Le deuxième raid de la saison est parti hier de Prudhomme.

Les 8 à 10 membres du convoi, dont un médecin, sont français ou italiens, tous pilotes de leur propre Challenger, et ont la chance de vivre une expédition des plus extrêmes : la traversée de 1100 km de glace, du blanc, rien que du blanc, avec une température et une pression extérieures baissant continuellement au cours du trajet. Cela demande une préparation en amont car la piste évolue par moments sur du glacier, composé de crevasses qui évoluent avec le temps, et une bonne coordination entre les différents participants sur la route, en particulier en cas de "whiteout", ou quand le ciel et le sol sont uniformément blancs, le véhicule de tête ouvre la voie avec une niveleuse et de puissants projecteurs, les autres doivent rester dans leurs traces pour ne pas finir "ensouillé".

Après la journée de conduite, le convoi s'arrête et tout le monde se retrouve à la caravane séjour et dortoir.

Photos du Raid. Source site internet IPEV

Les hivernants et campagnards d'été de Concordia sont acheminés en avion depuis Christchurch en Nouvelle Zélande, via la base italienne de Mario Zucchelli ou celle, américaine, de MCMurdo, situées plus à l'est. La Terre Adélie ne possède pas de piste suffisante pour accueillir les gros porteurs pour traverser l'océan austral, mais une piste englacée où vient se poser un Twin Otter affrété par une compagnie canadienne et qui fait la navette entre Mario Zucchelli, Concordia et DDU, principalement pour le transport de passagers.

C'est sur cette piste que nous installons chaque début d'été un anémomètre qui servira ensuite aux pilotes canadiens.

Ce genre d'aventures de l'extrême me ferait rêver. Cependant, bien peu de chances de l'accomplir un jour, non seulement car je n'ai pas de raison pour aller à Concordia, d'autre part parce que je suis trop mauvais en mécanique pour comprendre comment marcherait ces monstres Caterpillar.. Il doit falloir plus que le permis poids lourd je pense !

Si vous voulez rêver et en savoir plus, je vous invite à vous procurer la BD La lune est blanche, de François et Emmanuel Lepage, frères l'un photographe, l'autre dessinateur, qui ont eu la chance de participer au Raid et qui le retranscrivent dans ce très beau livre, qui relate également et ce plutôt justement, l'attente avant le départ et les émotions du voyage en Antarctique.

Si vous êtes curieux de la vie sur base à Concordia, je vous envoie sur le blog de l'ancien chef de mission Cyprien Verseux, qui a connu son petit succès sur Internet notamment grâce à ses photos de nourriture instantanément gelée à -70°C !!

https://marslablanche.com/

De mon côté, les premiers jours de la TA69 seule se sont bien passés. On profite encore actuellement de conditions estivales, très ensoleillées et bien douces pour la saison. Il a fait jusqu'à 6.4°C mardi, une valeur peu fréquente, qui n'avait pas été atteinte depuis le 2 janvier 2014. Les congères de l'hiver maigrissent, les rochers affleurent de plus en plus sous la couche de neige qui reste majoritaire.

Cette chaleur combinée à un régime de vent très variable en direction conduit à un spectacle très intéressant : les petits icebergs et plaques de banquise s'entassent dans les secteurs exposés au vent de la baie, puis disparaissent quand le vent tourne...la vue est chaque jour différente ! 

Comparaison de la vue de la baie depuis l'abri de gonflement du ballon-sonde, 18 et 20 décembre

     

 

Un petit renforcement du vent (rafales prévues à 130 km/h) s'annonce pour dimanche, l'accalmie sera pour le soir de Noël.

Je me rends compte que je n'ai pas encore vraiment parlé du climat de la Terre Adélie, qui a la particularité d'être extrêmement venté..Ce sera l'objet d'un prochain article !

A bientôt