L'Astrolabe, toujours plus sud !

Telle est la devise brodée sur les uniformes de l'équipage de la Marine Nationale nous conduisant à la base Dumont d'Urville (tout le monde dit DDU). Entre Hobart et la limite du "pack" (la banquise plus ou moins fragmentée à partir du 64ème sud), il est vrai que le cap est rectiligne et quasiment plein
sud. Le voyage aura duré 6 jours et 6 nuits et s'est bien passé. Ce n'était pas gagné en sortant de la baie de Hobart où un vent de force 7 soulevait des vagues atteignant 4 mètres. L'Astrolabe possède un fond quasi-plat lui permettant d'écraser la glace de mer par son inertie et donc se frayer un chemin dans le pack. Cette caractéristique le fait également beaucoup "rouler" en eau libre (mouvement latéral), et ce combiné au tangage (mouvement vers l'avant), génère un mal de mer plutôt carabiné. En ce qui me concerne, la lutte fut rude mais à aucun moment je ne dus rendre mes repas à l'océan...un motif de fierté ! Pour d'autres, les quarantièmes et cinquantièmes étaient plus vomissants que rugissants ou hurlants, justifiant le sobriquet du bateau, "le Gastrolabe", surtout utilisé pour l'ancien  navire. L'actuel est d'un assez bon confort il faut l'avouer.

Départ de l'Astrolabe de Hobart

Pourquoi ne pas avoir changé de nom en changeant de navire fin 2017 ? Et bien, pour rendre hommage à Jules Dumont d'Urville, qui débarqua en janvier 1840 de sa corvette, l'Astrolabe, sur un rocher situé à quelques kilomètres de la base qui portera ensuite son nom. Premier explorateur de cette côte, il la baptisa en l'honneur de sa femme Adèle.

Une fois complètement amariné, l'après-midi du deuxième jour pour moi, le séjour en mer fut agréable. A l'intérieur, les activités ne manquaient pas : jeux de cartes, de rôle, lecture, films, discussion avec les autres passagers, des personnes travaillant dans des milieux très différents
(artiste peintre, pilote d'hélicoptère, journaliste, informaticien, climatologue, chaudronnier, menuisier, médecin..) et ayant comme point commun l'attirance pour les Terres Australes et l'Antarctique. Certains sont hivernants comme moi, d'autres effectuent en Antarctique des travaux, missions de
recherche, reportages.. pour quelques jours à quelques semaines et repartiront d'ici la fin du court été austral, sur le même Astrolabe qui effectue au total 5 rotations de novembre à mars. Une communauté soudée et une bonne ambiance malgré la promiscuité.
A l'extérieur, malgré la présence d'un désert d'eau à perte de vue, beaucoup de choses à observer : oiseaux, en particulier les majestueux albatros, les plus beaux d'entre eux étant les fuligineux. Un couple et leur juvénile a eu la bonne idée de planer autour du bateau toute une matinée.
Sans oublier fulmars, pétrels, damiers, et une fois entrés dans le pack, des manchots Adélie et Empereur posés sur les morceaux de banquise.
Côté mammifères, seulement des dauphins en partant de Hobart, une baleine à l'entrée du pack et des phoques sur la banquise. Quelques belles lumières, le ciel et la mer variant sur des nuances de bleu, blanc ou gris souvent photogéniques.

Albatros fuligineux

Nous avions la chance de pouvoir déambuler en passerelle de commandement, discuter avec l'équipage, matelots comme officiers, scruter l'horizon totalement vide de bateaux. Le secteur n'est pas vraiment une route maritime... J'étais curieux de connaître tous leurs instruments de navigation, admirer les belles cartes marines du SHOM, visualiser les instruments et données météo (des lustres que je n'avais pas vu de barographe opérationnel !), échanger avec Stanislas Zamora, capitaine de l'ancien Astrolabe et pilote des glaces sur l'actuel. Le chemin le plus court n'étant pas forcément le plus rapide, il y a toute une chaîne de décisions pour arriver au plus vite à DDU : plusieurs heures à l'avance, le commandant décide d'une route grâce aux images des satellites défilants, leur résolution de 250m dans le visible permet de bien visualiser le pack ; une fois sur la route décidée, le radar militaire permet d'appréhender quelques minutes à l'avance les zones de glace de mer les plus franchissables. Enfin c'est le pilote des glaces qui détermine à vue le passage le plus aisé dans le pack.
La météo était mauvaise dans la glace, des conditions de jour blanc peu propice à la photo : fréquentes chutes de neige, visibilité moyenne à mauvaise, vent souvent entre 25 et 40 noeuds. Les conditions de glace de mer étaient en revanche plutôt favorables : le pack est moins concentré que ce qu'il devrait être à cette période de l'année. La traversée aura duré une trentaine d'heures entre les premiers glaçons à 64°30S 144E et DDU à 66°40S 140E.
Le débarquement a eu lieu l'après-midi du dimanche 9, et une fois posé pied à terre j'ai eu l'impression d'entrer dans une fourmilière !

Vu du pack et derrière, la polynie

Un petit morceau de banquise et au fond, imposant iceberg

Diplôme obtenu au passage du cercle polaire antarctique signé de la main du Commandant de l'Astrolabe

J'aurai l'occasion d'ici une semaine d'évoquer mes premières impressions à DDU, d'ici là je dois consacrer une grande partie de mon temps à optimiser la durée de la relève avec l'équipe météo me précédant.