Le radiosondage
Parmi les
activités quotidiennes de la station météorologique Dumont d’Urville, la plus
importante et emblématique reste celle du radiosondage quotidien, encore
effectué manuellement.
Le
radiosondage consiste à envoyer des ballons-sondes dans l’atmosphère pour
mesurer des paramètres essentiels tels que la température, l’humidité, la force
et la direction du vent.
L’observation
en surface avec les stations météorologiques classiques est indispensable, mais non suffisante pour la
prévision du temps, car elle ne permet pas d’échantillonner l’atmosphère sur la
verticale. La troposphère, fraction de l’atmosphère la plus proche du sol et
épaisse de 8 à 18km en fonction de la latitude et de la saison, est le siège de
la quasi-totalité des phénomènes météorologiques. Pour visualiser, on peut
l’imaginer comme une superposition de minces couches de fluide s’écoulant à des
vitesses différentes, avec pour chacune des propriétés physiques et thermodynamiques
voisines. Ces couches interagissent entre elles par le biais de mouvement
turbulents, d’échanges thermodynamiques, de diffusion de chaleur et de quantité
de mouvement.
Un modèle
météorologique, comme son nom l’indique, va modéliser les variables météorologiques
dans l’espace et le temps, en faisant évoluer l'état initial de l'atmosphère à partir des équations
fondamentales de la mécanique des fluides. Pour ce faire, il a besoin d’un
maximum d’informations sur cet état initial mais aussi de
tourner sur des ordinateurs suffisamment puissants pour calculer simultanément
les variables d’état de l’atmosphère (température, humidité, contenu en eau
sous ses différentes phases, vent..) sur des « tranches »
d’atmosphère la plus fine possible. La
puissance des« supercalculateurs » utilisés pour les besoins de la
météorologie se mesure en pétaflops, soit plusieurs millions de milliards
d’opérations à la seconde.
Le
radiosondage est une des techniques les plus anciennes pour mesurer des
variables de l’atmosphère. C’est un français, Léon Teisserenc de Bort, qui a
démontré il y a tout juste 120 ans et à l’aide des premiers ballons
météorologiques, l’existence de la stratosphère, couche stable au-dessus de la
troposphère.
A l’inverse des données issues de satellite ou
de radar, le radiosondage est une mesure in situ, moins entachée
d’incertitudes. Il reste donc un maillon essentiel de la météorologie, de
l’observation à la prévision.
Concrètement,
on gonfle un ballon en latex avec un gaz plus léger que l’air, qui va donc s’élever,
jusqu’à éclater à une altitude généralement comprise entre 25 et 30 kilomètres.
Ce ballon s'élève à une vitesse ascensionnelle constante, et se déplace au gré du vent, emportant une sonde qui transmet par ondes radio les données de température et humidité pendant son ascension. La force et la direction du vent sont déduites par le GPS de la radiosonde.
Dans la
plupart des stations de radiosondage, encore au nombre de 22 en France, la
majorité dans les territoires d’outre-mer, toute l’opération est effectuée par
un robot-sonde, qui gonfle le ballon à l’hydrogène, lequel est produit par une
petite centrale sur place.
A DDU, mais
aussi à Kerguelen et sur certaines îles de Polynésie, on utilise plutôt
l’hélium, pour des raisons de sécurité, de logistique, ou les deux. L’hélium
est un gaz inerte, sans risque d’explosion, contrairement à l’hydrogène, mais
beaucoup plus onéreux, car fossile.
L’hélium
est acheminé pendant l’été et stocké sur la base pour tout l’hiver pour les
besoins du radiosondage.
On consomme
environ 200 bars d’hélium pour lancer 4 ballons. Le gonflement s’effectue dans
un abri spécialement conçu, et le lâcher s’effectue sur une petite terrasse à
peine protégée du vent dominant par une grille paravent.
Cet été a
lieu une campagne spéciale organisée par l’Organisation Mondiale de la
météorologie, une branche de l’ONU : YOPP (« Year Of Polar
Prediction »), qui consacre un volet spécial pour l’Antarctique avec une
intensification des observations d’altitude, du 16 novembre 2018 au 15 février
2019.
Pendant ces trois mois, trois radiosondages sont effectués par jour au lieu
d’un : le premier autour de 9h locales, le deuxième à 15h et le troisième
à 21h. Pour les
besoins de la campagne, le premier ballon est plus gros pour monter légèrement
plus haut que les ballons classiques : en moyenne, 33 000m contre
27500.
Enfin, une
quinzaine de radiosondages par an sont réalisés pour l’étude de l’ozonosphère,
partie de la stratosphère où se situe la majeure partie de l’ozone
atmosphérique. Entre 15 et 30km d’altitude, il y a une molécule d’ozone pour
100 000 molécules d’air. La quantité totale d’ozone dans l’atmosphère, une
fois déposée au sol, formerait une couche de 3 mm seulement. Pourtant, ce gaz
est indispensable à la vie sur Terre car il permet de détruire les rayons UV-C
du Soleil, particulièrement nocifs pour les organismes vivants.
La quantité
d’ozone dans la stratosphère est dépendante des activités humaines.
L’utilisation massive de chlorofluorocarbures pour les besoins de l’industrie à
partir des années 50 a brutalement modifié le cycle naturel de l’ozone en
injectant du chlore d’origine anthropique dans la stratosphère, perturbant
l’équilibre dynamique fragile du cycle de l’ozone stratosphérique.
Cela a été
mis en évidence dans les années 80, quand il a été constaté des baisses
brutales de concentration en ozone au printemps austral au-dessus de
l’Antarctique : le fameux « trou de la couche d’ozone ». Et
comme rien n’est jamais simple quand on s’intéresse à la chimie atmosphérique,
la quantité d’ozone connaît également des fluctuations naturelles.
Pour mener
à bien le programme annuel de suivi de la déplétion saisonnière de l’ozone
stratosphérique antarctique, l’IPEV a recruté un jeune scientifique hivernant
pour la TA69. Les mesures in situ incluent la quinzaine de radiosondages ozone,
deux fois par mois, entre juin et novembre.
Une fois le
ballon lancé, dans des conditions qui deviennent sportives à partir de 30 nœuds
(55km/h) de vent moyen, et particulièrement délicates à partir de 45 nœuds (85
km/h), on suit son ascension sur une console, ce qui nous donne de précieuses
informations sur le vent en altitude, la hauteur de la base des nuages, et leur
épaisseur. Une fois le sondage terminé, généralement par l’éclatement du
ballon, les données (température, humidité, vent) sont envoyées à Toulouse, où
se situe le cœur des activités de Météo France, et ensuite diffusées sur le
réseau météorologique mondial pour être assimilées par les modèles de
prévision.
Quelques
photos du lâcher de ballon effectués le 11 décembre au matin, un de mes tous
premiers à DDU. Un journaliste de Radio France était présent pendant la
rotation R1 de l'Astrolabe, c'est lui que l'on voit également sur les photos.
Il prépare une série d'émissions consacrées à l'Antarctique, diffusée l'été
prochain, et pour lesquelles j'ai été interviewé en tant que responsable météo.
Gonflement du ballon à l'hélium |
Attelage de la sonde |
Sortie de l'abri |
Lâcher par 29
noeuds de vent moyen, à l'horizontale !
|
DDU étant
la seule station de radiosondage à 1000 km à la ronde, le radiosondage
quotidien revêt plus qu’ailleurs une grande importance, en réduisant les
incertitudes sur l’analyse de l’état initial de l’atmosphère pour les modèles
de prévision.
Le lâcher du
ballon-sonde, un geste qui peut être ludique, symbolique, poétique ou
catabatique, mais avant tout utile !
Enfin, pour
clore ce billet, voici le petit tableau climatologique mis à jour au 13 janvier
inclus.
TM
|
TNN
|
TXX
|
FFM
|
FXY
|
FXI
|
INSOL
|
-1.7°C
|
-6.8°C le
31/12
|
6.4°C le
18/12
|
28.8 km/h
|
94.3 km/h
le 01/01
|
143.6
km/h le 01/01
|
503.6 h
|
Les records
de vent du 1er janvier ont failli être battus hier, puisqu’on a atteint 91.4
km/h en FXY et 141.8 km/h en FXI !
Le total
d’insolation est particulièrement élevé, grâce à la fréquence de journées bien
ensoleillées voire radieuses entre le 13 décembre et le 10 janvier, à
l’exception des 13 décembre et 1er janvier.
Le cumul des 10 premiers jours de l’année, 170h, constitue un record
pour la période. Autrement dit, il n’y avait jamais eu autant de soleil à DDU
en début janvier !
Petit clin
d’œil à vous qui me suivez, nombreux depuis la métropole. Je ne me tiens que
peu informé de l’actualité, faute de temps et de connectivité, mais j’ai vu que
le début d’année a été caractérisé par des journées particulièrement grises et
déprimantes au nord du pays... Ne vous inquiétez pas, vous pourrez vous venger
dans quelques mois !
Enfin, petit rappel pour ceux qui souhaitent me contacter, donner des nouvelles, etc... La manière la plus simple reste mon adresse mail locale gheymes@ddu.ipev.fr, que je peux consulter à loisir ici, contrairement aux autres !
Enfin, petit rappel pour ceux qui souhaitent me contacter, donner des nouvelles, etc... La manière la plus simple reste mon adresse mail locale gheymes@ddu.ipev.fr, que je peux consulter à loisir ici, contrairement aux autres !
Bonjour Gaëtan, merci pour ces nouvelles. Les enfants m'ont fait remarqué que tu as une échelle dans ta chambre. C'est pour sortir par le toit si vous êtes sous la neige ?
RépondreSupprimerQuand c'est l'hiver, vous sortez toujours dehors ou bien y a-t-il un réseau souterrain qui relie les bâtiments ?
Est-ce que ça existe plusieurs jours d'affilée où le vent vous empêche de sortir?
On t'embrasse. Bye !
Bonjour Anne-Laurence,
SupprimerL'échelle dans ma chambre sert en fait pour le lit superposé qui se déplie comme un placard. C'est là que j'ai dormi , en partageant la chambre de mon prédécesseur, pendant la semaine de passation à la rotation R1 de l'Astrolabe. En effet, même si il y a un dortoir pour les campagnards d'été, il reste trop de monde au cœur des rotations (jusqu'à 80 personnes, en comptant les personnes en transit depuis la base de Cap Prudhomme ou Concordia) pour que chacun ait une chambre individuelle.
Il n'y a pas de réseau souterrain à DDU, mais ça existe dans d'autres bases antarctiques, notamment Vostok. Les bâtiments sont reliés par des passerelles métalliques, qui sont fréquemment déneigées après les tempêtes de neige. Lors des plus grosses tempêtes catabatiques pendant lesquelles le vent peut dépasser 150 km/h deux ou trois jours de suite, les activités extérieures de loisir sont réduites à néant, mais il faut quand même aller travailler et manger (et lancer le ballon en ce qui me concerne)!
Et même quand le temps n'est pas à la tempête, un simple vent moyen de 50 km/h suffit à rendre la visibilité quasi nulle à cause de la neige soufflée..
Je vous embrasse également !
Et les instruments embarqués dans le ballon, ils tombent à l'eau ? Sont récupérés dans la neige ? S'il y a un GPS, on doit pouvoir savoir où ils sont ?
RépondreSupprimerEn général, le ballon parcourt plusieurs dizaines de kilomètres par rapport à l'aire du lâcher avant d'éclater, mais on ne suit pas la descente. Le boîtier de la sonde tombe à l'eau, sur le continent ou la banquise, mais on ne va pas le chercher : trop loin, sonde détériorée à l'impact, et la durée de vie de la pile est limitée
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