Première manip' empereur

Enfin ! Voilà plus d'un mois que je n'étais pas sorti de l'île des Pétrels, en raison de la grande débâcle de la Saint Patrick. La première semaine d'avril, le temps froid et calme avait permis de reconstituer une banquise homogène de 30 à 35 cm d'épaisseur, suffisante pour y marcher en sécurité. Des premières sorties avaient pu être réalisées entre les 4 et 6 avril, permettant aux ornithos de rattraper des semaines de retard vis à vis de leurs manips de terrain concernant les pétrels géants et surtout les manchots empereurs.

4 avril, journée ensoleillée, froide et calme

4 avril : première expédition banquise, depuis l’extrémité Est de l'île des Pétrels

5 Avril matin : journée encore bien ensoleillée, les empereurs continuent d'affluer depuis le large

5 avril après-midi :la mer est gelée tout autour de l'île, ici en direction du sud-ouest

 

La plus belle australe vue à ce jour, le 5 avril vers 23h15 !

 

Composition avec la Voie Lactée, le point le plus lumineux est Jupiter



 Après cette période de soleil particulièrement bienfaiteur, agrémenté d'une splendide aurore le 5 au soir, nous avons subi une violente tempête d'une durée exceptionnellement longue : plus de quatre jours, du 6 avril au soir au 11 avril au matin, avec des rafales horaires à plus de 100 km/h, et fréquemment supérieures à 150 km/h. Bien que le vent souffle très fréquemment (un jour sur trois en moyenne) à plus de 100km/h, les tempêtes ne durent rarement plus de 24 heures. Le vent moyen sur la totalité de cs quatre jours a atteint 96 km/h, une valeur remarquable, dépassée seulement deux fois dans les quarante dernières années, chaque fois au mois de septembre, en 1987 et 2006.
Comme pressenti lors du précédent article, les deux records de vent de notre mission d'hivernage ont été battus  : celui de vent instantané maximal, 196,2 km/h, et celui de vent moyen maximal sur 10 minutes, 137,2 km/h.

Un graphique vaut mieux que de longs discours ! Echelle en m/s (1 m/s = 3,6 km/h)


 La rafale maximale a exactement eu lieu le dimanche 7 avril à 8h06 heure locale, moment précis où je rejoignais le bâtiment de la météo  après le petit-déjeuner, en vue de préparer le radiosondage du matin. Avec un vent moyen de 130 km/h, il est impossible de marcher sans  s'agripper aux rambardes des passerelles métalliques. Au moment de la rafale à 196 km/h, je me suis retrouvé scotché à la rambarde, sans autre solution qu'attendre quelques secondes et me cramponner vigoureusement au solide garde-corps.
Les trois tentatives de lâcher du radiosondage du matin ont été autant d'échecs, en raison de la rupture de la ficelle qui relie le ballon à la sonde !

Pendant ce temps, toute la jeune banquise automnale sur la côte ouest et nord de l'île des Pétrels débâclait à vue d’œil.
Les deux photos suivantes ont été prises à 14 minutes d'intervalle!


Débâcle du 7 avril, photo prise à 9h43



La même à 9h57

En fin de journée du 7 avril, toute la glace y avait été chassée au large. Après les quatre jours de tempête, il n'en restait qu'à un seul endroit autour de l'île : par chance, celui où avait été définie le chemin permettant d'accéder à la colonie de manchots empereurs, un mince triangle dont l'orientation de la côte et la présence opportune d'un iceberg vraisemblablement bloqué par les hauts-fonds de l'île du Lion avaient épargnés de la débâcle ! L'épaisseur avait même augmenté, atteignant en moyenne 40 à 45 cm.


C'est donc hier, le 13 avril, que j'ai participé à ma première manip' empereur, avec Douglas, notre ornitho manchologue. Étaient également de l'expédition sur la banquise Virgil, le deuxième ornitho (qui s'occupe plutôt des oiseaux qui volent : pétrels, damiers, fulmars, skuas...), Mervyn, Guillaume et Charles, dont l'objectif était de déneiger la "cabane BBC", du nom de l'abri métallique fabriqué pour l'équipe de réalisation d'un documentaire pour la BBC sur les manchots empereurs, ayant hiverné en 2012 à DDU.
Nous partons vers 9h, lourdement équipés : sur soi, plusieurs couches de vêtements : des sous-vêtements thermiques, pull en polaire et veste coupe-vent et rembourrée, double paire de chaussettes dont une "grand froid", gants et sous-gants. Chacun possède un "sac banquise" composé au minimum de vêtements secs de rechange, dans un sac étanche ; d'une petite serviette, de petites provisions, ainsi que des gants supplémentaires. On tire trois traîneaux, des pulkas, qui contiennent le matériel pour la manip scientifique, les pelles, pioches et la tronçonneuse pour dégager la cabane BBC, un sac supplémentaire banquise avec notamment corde flottante et chaufferettes, et bien sûr la glacière isotherme avec le casse-croûte pour le déjeuner et les boissons chaudes.




13 Avril au matin : Guillaume et Douglas, avant de se rendre sur la banquise ; en bas, la tarière permettant de sonder l'épaisseur de glace


Nous ne sommes pas les seuls à marcher sur cette étendue de mer gelée ! Au fond, l'île des Pétrels


Le site d'étude se situe sur une banquise beaucoup plus épaisse, qui a résisté à la débâcle


La fameuse colonie de manchots empereurs, vue depuis l'île Rostand : plus de 5000 individus !


L'objectif de cette manip où j'accompagne Douglas est de détecter, parmi les manchots empereurs qui continent d'affluer dans la colonie, les individus transpondés par le biais d'antennes disposées au sol, les mêmes utilisées lors de ma première manip' Adélie relatée ici, pour ensuite les marquer avec une teinture spéciale, afin de les reconnaître et étudier leur comportement pendant toute la saison de reproduction.
Les poussins empereurs ne sont transpondés que depuis quelques années, et ils ne se reproduisent qu'au bout de 4 à 5 ans, ce qui fait que très peu d'individus adultes le sont.

La période d'arrivée massive d'empereurs dans la colonie touche à sa fin. Les arrivants du jour ont eu un comportement particulier ; une première colonne en début de matinée a emprunté un chemin différent des individus précédents ; il a fallu déplacer à la hâte les antennes, reliées entre elles par un câble disposé sous la glace, ainsi que les panneaux solaires. Un sillon de fortune a été creusée sur une zone de glace vive à coups de tomahawk, sur une zone où les empereurs du jour semblaient passer préférentiellement. Une première colonne a mis un long moment avant de se décider à franchir le dispositif ; sur trois individus détectés, un seul a pu être marqué par Douglas, les deux autres ayant déjà été marqués les jours précédents.


Déménagement de l'installation des antennes, avant le passage d'un petit groupe de manchots hésitant



Pendant ce temps, les quatre autres comparses s'acharnaient sur la glace qui ensevelissait à moitié la cabane BBC, située au sud-est de l'île Rostand, à proximité de la manchotière. Nous les avons rejoints pour le casse-croûte le midi, puis en fin d'après-midi, pour dégager la gangue de glace qui recouvrait le sol de la cabane, apparemment plus vraiment perméable...

L'île Rostand est celle de l'archipel la plus densément peuplée en pétrels géants antarctiques ! On en voit trois sur la gauche

L'équipe du déneigement de la cabane BBC : Guillaume, Virgil, Mervyn et Charles. Crédits photo Mervyn Ravitchandirane


Vue de l'intérieur de la cabane BBC


Le reste de la journée, le reste des manchots ont patienté sur la banquise fine, ne se mettant en marche un peu avant le coucher du soleil, peu avant 17h. Il nous fallait rentrer sur base pour raisons de sécurité.. En décalant au maximum le retour, on aurait pu identifier des manchots supplémentaires, mais la colonne forte de 180 oiseaux, s'est finalement dirigée en suivant un cap correspondant à la zone située au milieu des deux précédents emplacements !


La colonne de plus de 150 individus a la bonne idée d'attendre le crépuscule pour se diriger vers la colonie !

 

Zoom sur ces oiseaux si élégants...



Selfie antarctique !


D'un point de vue scientifique, cette journée de manip' fut plutôt un échec pour Douglas, avec une très faible proporion d'individus marqués.

D'un point de vue personnel par contre, cette journée était pour moi riche en émotions. Les difficultés rencontrées pendant les manips font partie intégrante de la "logique antarctique" ; ici, les conditions de travail sont si particulières et complexes, qu'il faut une grande part de flexibilité et d'adaptation aux événements et éléments extérieurs, que l'on est parfois obligés de subir.
Le froid en fait partie ; il était bien présent, avec une température sous abri comprise entre -11 et -14°C ; la présence du soleil, le vent à peine modéré l'ont rendu largement supportable. Parfois, après plusieurs minutes immobiles, on commence à ne plus sentir ses orteils ou le bout de ses doigts, puis vient la sensation de brûlure. Ce sont des petites pointes d'inconfort qui font partie de l'environnement et qu'on accepte à la longue.

J'ai conscience de la chance que j'ai de pouvoir vivre ce genre d'expérience. La scène vécue en fin de journée était un de ces moments merveilleux : une colonne de 180 individus passant à quelques mètres de nous, l'atmosphère enveloppée de leurs chants gracieux... Certains individus se tiennent droits et immobiles, signe que la parade amoureuse a commencé !
Il fallait malheureusement partir pour arriver avant la nuit sur l'île des Pétrels. C'est chose faite vers 17h30. Avant le repas du soir à 19h30, un repas de fête avec la soirée d'anniversaire de deux hivernants, on a le temps pour boire une petite bière à BioMar entre manipeurs, un moment plutôt sympathique et convivial qui couronne une journée bien remplie!

Il n'y aura pas d'autres manip' empereurs avant un long moment en ce qui me concerne ; celle que j'ai faite est bientôt terminée, le flot des arrivées d'empereurs commençant à se tarir. Les prochaines manip consistent en des études acoustiques des chants des empereurs, avec entrée dans la manchotière, que Douglas est le seul à pouvoir faire !

On en vient au tableau climatologique synthétique, valable au 14 avril, avec les deux nouveaux records de vent.
La température moyenne ne baisse que lentement, en raison de l'absence de grand froid : sur les cinq semaines, l'anomalie est de près de +3°C: -8,3°C, au lieu de -11,1°C.


TM
TNN
TXX
FFM
FXY
FXI
INSOL
-4,3°C
-16,1°C les 06 et 15/04
6,4°C le 18/12
37,7 km/h
137,2 km/h le 07/04
196,2 km/h le 07/04
971,8 h

Ce lundi matin, le record de froid de -16.1°C a été égalé : une période bien douce et neigeuse s'annonce entre mardi et vendredi... De nouvelles sessions pelletages en vue !


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